
Microsoft s'est engagé depuis plus de quinze ans dans un ambitieux projet d'informatique quantique basé sur les quasi-particules de Majorana. Ce pari scientifique et technologique vise à créer des qubits topologiques – des bits quantiques théoriquement plus stables – en exploitant des particules exotiques appelées fermions de Majorana. Dans cet article, nous retracerons l'historique de ce projet (origines, objectifs initiaux et contexte scientifique), présenterons les principales découvertes réalisées par Microsoft dans ce domaine (avancées expérimentales autour des Majorana zero modes, collaborations et publications clés), expliquerons de manière accessible les concepts techniques en jeu (quasi-particules de Majorana et informatique quantique topologique), puis dresserons l'état actuel du projet en 2025 (progrès, ambitions futures, place dans la course à l'ordinateur quantique), avant de conclure sur l'importance de ces recherches.
Historique du projet : origines, objectifs et contexte
L'intérêt de Microsoft pour l'informatique quantique remonte au début des années 2000, dans un contexte où la théorie suggérait de nouvelles voies pour surmonter la fragilité des qubits conventionnels. En 2004, le mathématicien Michael Freedman (médaillé Fields) proposa à la direction de Microsoft d'exploiter la topologie pour stabiliser des qubits (Microsoft's next big bet? Clue: it's just hired four top quantum computing scientists | ZDNET). L'idée était audacieuse : utiliser des propriétés topologiques de la matière quantique pour protéger l'information, au lieu de compter uniquement sur des corrections d'erreurs actives. Microsoft crée alors le laboratoire Station Q en 2005 à l'Université de Californie à Santa Barbara, dédié à la recherche sur l'informatique quantique topologique (Microsoft's next big bet? Clue: it's just hired four top quantum computing scientists | ZDNET). L'objectif initial, sous la direction de Freedman, était clair : explorer un type de qubit dit topologique, potentiellement bien moins sujet aux décohérences et erreurs que les qubits classiques (comme ceux à base de supraconducteurs ou de photons) (Microsoft's next big bet? Clue: it's just hired four top quantum computing scientists | ZDNET). Ce choix stratégique se démarquait des approches suivies par d'autres acteurs (IBM, Google, etc.) et misait sur le long terme, avec un fort potentiel de rupture en cas de succès (high risk, high reward selon la formule consacrée (Microsoft’s Majorana 1 chip carves new path for quantum computing - Source)).
Sur le plan scientifique, le concept clé derrière le qubit topologique est le fermion de Majorana, une particule théorisée dès 1937 par le physicien Ettore Majorana. Ce dernier avait postulé l'existence de particules neutres étant leur propre antiparticule. Si aucune particule élémentaire de Majorana n'a été observée directement à ce jour, des quasi-particules analogues peuvent émerger dans certains matériaux quantiques. Au début des années 2000, des travaux théoriques (notamment d'Alexei Kitaev) ont suggéré qu'une paire de quasi-particules de Majorana pourrait constituer un qubit intrinsèquement protégé des perturbations locales. L'idée a lancé une quête expérimentale mondiale pour réaliser de tels états exotiques dans la matière condensée.
Les premiers indices expérimentaux sont apparus en 2012. Une équipe menée par Leo Kouwenhoven à l'Université de Delft (Pays-Bas) a rapporté l'observation d'une signature compatible avec un Majorana zero mode à l'extrémité d'un nanofil semi-conducteur connecté à un supraconducteur (Setback for Majorana fermion as Microsoft team retracts research paper) (Major Quantum Computing Strategy Suffers Serious Setbacks | Quanta Magazine). Concrètement, ils ont mesuré un pic de conductance à bias nul (0 V) dans un nanofil InSb avec contact en aluminium, ce qui correspond à un état d'énergie nulle localisé – exactement ce qu'on attend pour une quasi-particule de Majorana. Bien que d'autres explications alternatives du signal soient possibles, cette expérience pionnière a suscité un immense intérêt et a placé les modes de Majorana au cœur des approches quantiques topologiques.
Microsoft, qui finançait déjà des recherches théoriques via Station Q, a vu dans ces résultats une confirmation du potentiel de son approche. L'entreprise a alors intensifié ses efforts vers 2016 en recrutant plusieurs des meilleurs spécialistes mondiaux du domaine afin de passer « de la recherche à l'ingénierie » (Microsoft's next big bet? Clue: it's just hired four top quantum computing scientists | ZDNET). Cette année-là , sous l'impulsion du directeur de projet Todd Holmdahl, Microsoft engage quatre scientifiques de renom : Leo Kouwenhoven (Delft), Charles Marcus (Université de Copenhague), David Reilly (Université de Sydney) et Matthias Troyer (ETH Zurich) (Microsoft's next big bet? Clue: it's just hired four top quantum computing scientists | ZDNET). Kouwenhoven et Marcus, en particulier, avaient déjà collaboré de façon informelle avec Station Q depuis des années et leurs laboratoires universitaires étaient en partie financés par Microsoft pour la recherche sur le qubit topologique (Microsoft doubles down on quantum computing bet - The AI Blog). En rejoignant Microsoft tout en conservant leur affiliation académique, ils ont contribué à établir des laboratoires quantiques dédiés sur leurs campus respectifs (Microsoft doubles down on quantum computing bet - The AI Blog).
Les objectifs initiaux de Microsoft Quantum étaient ambitieux : il ne s'agissait pas simplement de démontrer un qubit unique dans des conditions de laboratoire idéales, mais de poser les bases d'un calculateur quantique évolutif et utilisable par des non-spécialistes (Microsoft doubles down on quantum computing bet - The AI Blog). Comme l'expliquait Leo Kouwenhoven, l'enjeu est de « créer des outils fiables que des scientifiques sans formation quantique pourront utiliser pour résoudre des problèmes réels », ouvrant la voie à une « économie quantique » révolutionnant des industries comme la médecine ou les matériaux (Microsoft doubles down on quantum computing bet - The AI Blog). Pour cela, Microsoft a misé sur la collaboration avec des institutions de pointe : en plus du hub de Santa Barbara, des labos communs ont été formés à Delft (Pays-Bas), au Niels Bohr Institute de Copenhague (Danemark) et à l'Université de Sydney (Australie), entre autres (Microsoft doubles down on quantum computing bet - The AI Blog) (Accelerating quantum materials research with Microsoft's new Copenhagen lab - Microsoft Azure Quantum Blog). Chacun apportait son expertise – croissance de matériaux ultra-purs, nanofabrication, cryogénie, électronique de contrôle, etc. – nécessaire à l'effort multidisciplinaire de construction d'un ordinateur quantique topologique.
Découvertes majeures de Microsoft dans le domaine des Majorana
Depuis le lancement de ce projet, Microsoft et ses partenaires ont réalisé plusieurs avancées notables, tout en traversant des revers instructifs. Voici les faits marquants et découvertes clés :
- Détection de modes de Majorana (2012-2016). Les premières expériences à Delft en 2012 (soutenues ensuite par Microsoft) ont fourni un indice important de l'existence des quasi-particules de Majorana sous forme d'un pic de conductance à zéro bias (Major Quantum Computing Strategy Suffers Serious Setbacks | Quanta Magazine). Fort de ce résultat, Microsoft a officialisé en 2016 son investissement massif dans cette voie. L'entreprise a recruté Kouwenhoven – l'auteur de l'expérience de 2012 – ainsi que d'autres leaders du domaine, pour travailler sur un projet dédié à l'ordinateur quantique basé sur les fermions de Majorana (Setback for Majorana fermion as Microsoft team retracts research paper). L'approche choisie consistait à créer des fermions de Majorana aux extrémités de nanofils semi-conducteurs en contact avec un supraconducteur, et à détecter leur présence via des signatures électriques. L'idée sous-jacente était que deux Majorana séparés spatialement pourraient stocker un bit quantique de manière non locale, offrant une meilleure robustesse aux perturbations.
- Publication phare de 2018 et remise en question. En mars 2018, l'équipe du laboratoire Microsoft Quantum aux Pays-Bas (TU Delft) publie dans la revue Nature des résultats présentés comme une preuve éclatante des Majorana zero modes. L'article rapportait l'observation d'une conductance quantifiée (plateau à 2e²/h) dans des nanofils InAs/Al en champ magnétique, interprétée comme « la conductance de Majorana quantifiée », c'est-à -dire le signe sans équivoque de modes de Majorana aux extrémités du fil (Setback for Majorana fermion as Microsoft team retracts research paper). Cette découverte fit grand bruit : réussir à reproduire systématiquement un signal quantifié donnait confiance dans la réalité des quasi-particules de Majorana et constituait une étape cruciale vers le qubit topologique. Cependant, au fil des mois, des doutes sont apparus dans la communauté. Des physiciens externes, notamment Sergey Frolov (Université de Pittsburgh), ont réanalysé les données et réalisé d'autres mesures témoignant qu'un phénomène plus banal – des états liés d'Andreev dans le nanofil – pouvait imiter la signature attribuée aux Majorana (Setback for Majorana fermion as Microsoft team retracts research paper) (Setback for Majorana fermion as Microsoft team retracts research paper).
En 2021, après vérification, l'équipe de Delft a reconnu que les preuves n'étaient pas assez solides et a pris la décision exceptionnelle de rétracter l'article de 2018, s'excusant du manque de rigueur et corrigeant l'erreur (Setback for Majorana fermion as Microsoft team retracts research paper). Ce revers cinglant a été un moment de remise en question pour le projet : il a mis en lumière la difficulté extrême d'identifier sans ambiguïté un Majorana et la nécessité de protocoles expérimentaux plus robustes pour distinguer les vrais signaux topologiques des faux (Major Quantum Computing Strategy Suffers Serious Setbacks | Quanta Magazine) (Major Quantum Computing Strategy Suffers Serious Setbacks | Quanta Magazine). Néanmoins, loin d'abandonner, Microsoft et ses partenaires ont redoublé d'efforts en améliorant leurs méthodes et en développant de nouveaux tests pour valider la présence de Majorana de façon plus stricte. - Progrès en fabrication de matériaux et protocoles (2018-2022). Suite à la controverse de 2018, Microsoft a investi dans le développement de matériaux et d'outils de mesure à la pointe. Un Quantum Materials Lab a été inauguré en 2018 à Copenhague, dirigé par le spécialiste des nanomatériaux Peter Krogstrup, avec pour mission de fournir des nanofils d'une pureté et d'une qualité sans précédent aux différentes équipes Microsoft à Delft, Sydney, Santa Barbara, etc. (Accelerating quantum materials research with Microsoft's new Copenhagen lab - Microsoft Azure Quantum Blog). Parallèlement, les scientifiques de Microsoft ont élaboré un protocole d'écart topologique (topological gap protocol) visant à vérifier qu'un nanofil est bien entré dans la phase supraconductrice topologique nécessaire aux Majorana. En mars 2022, une annonce majeure a été faite : Microsoft a déclaré avoir réussi à induire de manière reproductible la phase topologique dans ses dispositifs hybrides semi-conducteur/supraconducteur, et à observer les Majorana zero modes correspondants (InAs-Al Hybrid Devices Passing the Topological Gap Protocol - Microsoft Research). Autrement dit, ils pouvaient désormais fabriquer à volonté un nanofil présentant l'état exotique recherché, au lieu de compter sur des apparitions aléatoires. Ce résultat, franchissant « un obstacle significatif vers un machine quantique à grande échelle » selon Microsoft (InAs-Al Hybrid Devices Passing the Topological Gap Protocol - Microsoft Research), a été accueilli prudemment mais positivement par la communauté, y voyant un signe que les leçons de 2018 avaient porté leurs fruits via une approche plus méthodique.
- Vers le premier qubit topologique : puce Majorana 1. Ces efforts ont culminé récemment avec ce que Microsoft présente comme une véritable percée.
En février 2025, la firme a dévoilé un prototype de puce quantique baptisée Majorana 1, présentée comme « le premier processeur quantique au monde alimenté par des qubits topologiques » (Microsoft’s Majorana 1 chip carves new path for quantum computing - Source). Cette puce rouge et or, de la taille d'une paume de main, intégrerait huit qubits topologiques – chacun étant implémenté par un réseau de quatre quasi-particules de Majorana dans une architecture en forme de "H" (Microsoft’s Majorana 1 chip carves new path for quantum computing - Source) (Debate erupts around Microsoft’s blockbuster quantum computing claims | Science | AAAS). Microsoft indique avoir développé pour cela une nouvelle classe de matériaux nommés topoconducteurs (des supraconducteurs topologiques) permettant de contrôler et d'observer les particules de Majorana de façon fiable (Microsoft’s Majorana 1 chip carves new path for quantum computing - Source). En pratique, chaque petit circuit en H relie deux nanofils supraconducteurs de façon à héberger quatre modes de Majorana couplés, ce qui constitue un qubit dont on peut mesurer l'état en lisant la parité (l'occupation conjointe ou non) de ces modes. Une publication scientifique en accès libre est parue simultanément, décrivant le dispositif et, surtout, une méthode de mesure de l'état logique du qubit via la parité des nanofils (Debate erupts around Microsoft’s blockbuster quantum computing claims | Science | AAAS). Ce point est fondamental car lire le qubit topologique (donc savoir s'il encode "0", "1" ou une superposition) nécessite de détecter des propriétés globales sans détruire les Majorana. - Collaborations et publications clés. Tout au long du projet, Microsoft a travaillé main dans la main avec des instituts de recherche de premier plan. Parmi les collaborations notables figurent celles avec :
- TU Delft (QuTech) aux Pays-Bas – où Kouwenhoven et ses collègues ont mené les expériences phares de 2012 et 2018.
- Niels Bohr Institute (Centre for Quantum Devices) au Danemark – dirigé par Charles Marcus, focalisé sur la nanofabrication et la physique mésoscopique des Majorana.
- Université de Sydney en Australie – où David Reilly dirige un laboratoire Microsoft axé sur l'intégration électronique cryogénique et la mise à l'échelle.
- Purdue University (USA) – où Microsoft a également soutenu des recherches en matériaux quantiques (par ex. le groupe du Pr. M. Manfra) (Microsoft just upped its multi-million bet on quantum computing).
- Station Q Santa Barbara – le hub initial de Microsoft qui continue de contribuer via des physiciens théoriciens (comme Chetan Nayak, désormais directeur scientifique du programme) et des expérimentateurs.
- l'article fondateur de Science 2012 (Mourik et al.) sur les premiers indices de Majorana dans les nanofils (réalisé à Delft avec l'appui de Microsoft) (Major Quantum Computing Strategy Suffers Serious Setbacks | Quanta Magazine) (Major Quantum Computing Strategy Suffers Serious Setbacks | Quanta Magazine);
- un article dans Nature Physics 2021 (Yu et al.) démontrant comment des états non-Majorana pouvaient imiter la signature quantifiée, ce qui a éclairé la rétraction de l'article de 2018 (Setback for Majorana fermion as Microsoft team retracts research paper);
- le préprint arXiv 2022 (Nayak et al.) introduisant le protocole d'écart topologique et présentant les données de phase topologique obtenues sur les nanofils InAs/Al de nouvelle génération (ces travaux ayant ensuite été revus par les pairs) (InAs-Al Hybrid Devices Passing the Topological Gap Protocol - Microsoft Research);
- enfin, l'article Nature 2025 (Laeven et al., co-signé par Microsoft) décrivant la mesure de parité et revendiquant la réalisation d'un qubit topologique élémentaire. C'est ce dernier qui a provoqué un intense débat début 2025 dans la communauté, certains saluant l'avancée matérielle, d'autres jugeant les preuves expérimentales encore insuffisantes, comme nous allons le voir.
En somme, le projet quantique de Microsoft a connu une progression faite de hauts et de bas : des preuves initiales encourageantes, une annonce prématurée ayant mené à une correction publique, puis un approfondissement méthodique aboutissant à l'annonce récente d'une puce à huit qubits topologiques. Chaque étape a apporté son lot de connaissances : meilleure compréhension des Majorana (comment les détecter ou ne pas les confondre avec autre chose), développement de matériaux innovants (hétérostructures semi-conducteur/supraconducteur de très haute qualité) et invention de protocoles de mesure adaptés à ces systèmes hors du commun.
Concepts techniques : les Majorana et l’informatique quantique topologique
Qu’est-ce qu’une quasi-particule de Majorana ? Il s’agit d’une excitation collective de la matière qui se comporte comme un électron fractionné en deux parties. Plus précisément, dans certains matériaux supraconducteurs combinés à des semi-conducteurs, les électrons peuvent s'apparier d'une manière particulière qui donne naissance à des états liés de très basse énergie aux extrémités du matériau. Chacun de ces états, appelé mode zéro de Majorana, correspond à un quasi-particule étant sa propre antiparticule – une propriété singulière héritée du concept de Majorana originel de 1937 (Major Quantum Computing Strategy Suffers Serious Setbacks | Quanta Magazine). Un moyen simple de le décrire est de considérer une chaîne d'électrons couplés (par exemple un nanofil). Au repos, le supraconducteur force les électrons à se grouper deux par deux (paires de Cooper). Mais aux deux bouts du fil, un électron de chaque extrémité se retrouve non apparié (il n’a qu’un « demi-partenaire ») et forme ainsi une quasi-particule délocalisée répartie sur les deux extrémités du fil (Major Quantum Computing Strategy Suffers Serious Setbacks | Quanta Magazine) (Major Quantum Computing Strategy Suffers Serious Setbacks | Quanta Magazine). On parle de modes de zéro énergie car ces états apparaissent exactement à l'énergie nulle, au milieu du « gap » supraconducteur (d'où le terme zero mode).
La propriété cruciale d'un tel mode de Majorana est que l’information qu’il recèle est globale. Autrement dit, les deux moitiés (chaque extrémité du nanofil) forment un tout indissociable : l'état quantique ne peut être connu (ou perturbé) qu'en considérant l'ensemble (Major Quantum Computing Strategy Suffers Serious Setbacks | Quanta Magazine). Si l'on tente d'interagir avec une seule extrémité, on n'apprend rien sur l'état global (et on ne le détruit pas non plus). En revanche, si l'on fusionnait les deux moitiés (en ramenant les deux extrémités ensemble, par pensée), elles s'annihileraient en produisant soit un électron entier, soit du vide (Major Quantum Computing Strategy Suffers Serious Setbacks | Quanta Magazine). Lorsqu'elles sont séparées, elles restent dans une superposition quantique de ces deux possibilités (électron présent ou absent).
Un qubit topologique exploite précisément cette configuration : on peut définir l'état "0" comme correspondant à , par exemple, aucun électron fusionné (vide), et l'état "1" à un électron résultant de la fusion. Tant que les deux Majorana restent bien séparés spatialement, on a un bit quantique encodé de façon non locale – c’est-à -dire qu’aucune perturbation locale (agissant sur une extrémité) ne peut le basculer directement de 0 à 1. Le qubit est protégé par un principe topologique. Cette protection se manifeste par une très faible sensibilité aux bruits et défauts locaux : on dit que l'information est enchevêtrée dans la topologie du système plutôt que dans un état physique local. En conséquence, de tels qubits pourraient avoir des taux d'erreur très bas par construction (Physicists are mostly unconvinced by Microsoft’s new topological quantum chip), réduisant le besoin de correction d'erreur coûteuse qui pénalise les autres plateformes quantiques.
Visuellement, on peut imaginer des anneaux ou des nœuds quantiques où l'information est stockée dans la façon dont ils sont enchevêtrés plutôt que dans un emplacement précis. Deux quasi-particules de Majorana constituent ainsi un qubit topologique élémentaire. Pour effectuer des opérations logiques (portes quantiques) avec ces qubits, on utiliserait un processus appelé braiding (tressage) : échanger la position de deux fermions de Majorana, ce qui, en vertu de leur statistique dite non-abélienne, modifie l'état quantique global de manière déterministe. Cette propriété exotique, propre aux anyons non-abéliens, fait que l'ordre dans lequel on échange (tresse) ces particules influe sur le résultat, un peu comme faire passer deux cordelettes l'une autour de l'autre dans un ordre différent donne un nœud différent. Braider les Majorana permet de réaliser des opérations logiques qui sont intrinsèquement immunisées contre les perturbations continues tant que l'ordre et la topologie de la tresse sont conservés.
Dans la pratique du projet de Microsoft, ces idées se concrétisent à l'échelle nanométrique par des dispositifs hybrides. Typiquement, un nanofil en semi-conducteur (InAs ou InSb) est recouvert partiellement d'un supraconducteur (généralement de l'aluminium). Sous certaines conditions (température proche du zéro absolu, champ magnétique aligné, et niveau de Fermi ajusté via des électrodes de grille), ce système entre dans la phase supraconductrice topologique. À ce stade, les extrémités dénudées du nanofil abritent chacune un mode de Majorana. La paire d'extrémités forme un qubit dont on peut, en principe, contrôler l'état en fusionnant ou en séparant les quasi-particules (via l'ajustement de paramètres du dispositif) et mesurer l'état via la parité de charge du nanofil (Debate erupts around Microsoft’s blockbuster quantum computing claims | Science | AAAS).
Détecter et contrôler ces quasi-particules n'est pas chose aisée. Initialement, le « pistolet fumant » utilisé par les physiciens était la mesure de conductance différentielle en fonction de la tension appliquée au nanofil (Major Quantum Computing Strategy Suffers Serious Setbacks | Quanta Magazine). Un pic de conductance à 0 V, surtout s'il atteint une valeur quantifiée (2e²/h), est un indicateur fort de la présence d'un mode de Majorana à l'extrémité du fil. Cependant, comme on l'a vu, ce critère peut prêter à confusion car d'autres états quantiques discrets (non topologiques) peuvent produire des signaux similaires.
C'est pourquoi des protocoles plus élaborés, impliquant par exemple la mesure de la stabilité temporelle de la parité et le contrôle multi-paramètres du système, ont été développés pour confirmer la nature topologique de l'état (Debate erupts around Microsoft’s blockbuster quantum computing claims | Science | AAAS).
En résumé, les quasi-particules de Majorana représentent une approche novatrice pour le calcul quantique : en stockant les bits quantiques de façon délocalisée et en utilisant la topologie pour les manipuler, on espère réaliser des qubits beaucoup plus robustes aux bruits. Cela pourrait résoudre le talon d'Achille des ordinateurs quantiques actuels (le taux d'erreur) en réduisant drastiquement le besoin de redondance et de correction. C'est la vision qui a motivé Microsoft à consacrer un projet entier à ces qubits topologiques.
État actuel du projet (2025), ambitions futures et place dans la course quantique
(Physicists are mostly unconvinced by Microsoft’s new topological quantum chip) Photo de la puce Microsoft Majorana 1 révélée en 2025, intégrant huit qubits topologiques basés sur des quasi-particules de Majorana. Ce prototype illustre l'approche matérielle unique de Microsoft dans la course à l'ordinateur quantique.

En 2025, le projet quantique de Microsoft est toujours en cours et continue d'attirer l'attention, tant pour ses promesses que pour les questions qu'il soulève. La présentation de la puce Majorana 1 au début de l'année a marqué un jalon symbolique : Microsoft a annoncé via communiqué de presse avoir intégré pour la première fois plusieurs qubits topologiques sur un même circuit, concrétisant ainsi des années de recherche (Microsoft’s Majorana 1 chip carves new path for quantum computing - Source) (Microsoft’s Majorana 1 chip carves new path for quantum computing - Source). La société affirme que cette avancée valide son choix initial risqué et ouvre la voie à une mise à l'échelle rapide vers un ordinateur quantique utile commercialement (Microsoft’s Majorana 1 chip carves new path for quantum computing - Source) (Microsoft’s Majorana 1 chip carves new path for quantum computing - Source). En effet, grâce à la protection topologique, Microsoft envisage de contrôler ces qubits de façon digitale (par opposition aux réglages analogiques fins qu'exigent les qubits conventionnels), ce qui simplifierait grandement l'architecture de pilotage d'un grand nombre de qubits (Microsoft’s Majorana 1 chip carves new path for quantum computing - Source). L'ambition affichée est de pouvoir, à terme, placer un million de qubits sur une puce de la taille d'une main – un nombre jugé nécessaire pour que les ordinateurs quantiques résolvent des problèmes industriels d'envergure (chimie, science des matériaux, optimisation, etc.) (Microsoft’s Majorana 1 chip carves new path for quantum computing - Source) (Microsoft’s Majorana 1 chip carves new path for quantum computing - Source). Microsoft parle en ces termes d'une horizon de quelques années, pas des décennies pour atteindre la "quanticité" pratique, par opposition aux approches concurrentes qui pourraient selon lui buter sur la mise à l'échelle avant d'y parvenir (Microsoft’s Majorana 1 chip carves new path for quantum computing - Source) (Microsoft’s Majorana 1 chip carves new path for quantum computing - Source).
Cependant, la réception de ces annonces dans la communauté scientifique est mitigée. Si Microsoft a déclaré avoir démontré le fonctionnement d'un qubit topologique élémentaire (et suggéré en avoir huit en main avec Majorana 1), les données publiées jusqu'à présent n'ont pas entièrement convaincu les experts indépendants. Par exemple, l'article scientifique accompagnant l'annonce – publié dans Nature – a été jugé prudent dans ses conclusions, établissant surtout un protocole de lecture de parité sans apporter la preuve définitive d'une porte logique topologique fonctionnelle (Physicists are mostly unconvinced by Microsoft’s new topological quantum chip). Au grand rendez-vous de l'American Physical Society en mars 2025, la présentation de Chetan Nayak (directeur scientifique du projet chez Microsoft) a attiré des centaines de physiciens curieux et sceptiques. Nayak a exposé le schéma de qubit en H (deux nanofils couplés) et montré des mesures indiquant qu'un nanofil isolé pouvait maintenir son état quantique pendant ~10 millisecondes, ce qui est très prometteur (Debate erupts around Microsoft’s blockbuster quantum computing claims | Science | AAAS). En revanche, lorsqu'il a présenté les résultats impliquant deux nanofils (censés prouver l'existence de deux états logiques distincts correspondant aux combinaisons quantiques des Majorana du H), les courbes obtenues sont apparues brouillées et peu lisibles pour nombre d'observateurs (Physicists are mostly unconvinced by Microsoft’s new topological quantum chip) (Debate erupts around Microsoft’s blockbuster quantum computing claims | Science | AAAS). Certains y ont vu essentiellement du bruit aléatoire plutôt qu'un signal clair, et l'argument de Microsoft selon lequel une analyse statistique révèle un motif cohérent sous le bruit n'a pas fini de convaincre (Physicists are mostly unconvinced by Microsoft’s new topological quantum chip). « Les données étaient incroyablement peu convaincantes. On aurait dit que Microsoft nous faisait passer un test de Rorschach », a commenté avec ironie un physicien présent, Henry Legg de l'Université de St. Andrews (Physicists are mostly unconvinced by Microsoft’s new topological quantum chip). Ce dernier, ainsi que d'autres, a publié des critiques détaillées pointant des fragilités dans le protocole d'identification des Majorana utilisé par Microsoft (dépendance des résultats au choix de certains paramètres, différences entre l'analyse des données simulées et réelles, etc.) (Debate erupts around Microsoft’s blockbuster quantum computing claims | Science | AAAS). Microsoft, par la voix d'autres chercheurs comme Roman Lutchyn, a répondu point par point à ces critiques en défendant la validité de son approche tout en invitant la communauté à proposer de meilleurs protocoles si elle en voit (Debate erupts around Microsoft’s blockbuster quantum computing claims | Science | AAAS) (Debate erupts around Microsoft’s blockbuster quantum computing claims | Science | AAAS).
Ce débat technique souligne que, malgré des progrès indéniables en ingénierie, la preuve irréfutable du qubit topologique n'est pas encore universellement acceptée. Il ne s'agit pas de discréditer le projet, mais plutôt d'une saine démarche scientifique : chaque avancée extraordinaire requiert des preuves à la hauteur. Nombre de chercheurs saluent d'ailleurs l'ouverture de Microsoft qui, après la déconvenue de 2018, partage désormais plus volontiers ses données et processus pour validation externe, tout en participant à des programmes d'évaluation indépendants (comme le programme US2QC de la DARPA, où Microsoft est l'une des deux entreprises sélectionnées en phase finale pour concrétiser un calculateur quantique utile à grande échelle) (Microsoft’s Majorana 1 chip carves new path for quantum computing - Source).
En termes de compétition technologique, Microsoft occupe une position à part. D'un côté, des concurrents comme IBM ou Google ont déjà mis en ligne des ordinateurs quantiques comportant respectivement des centaines de qubits supraconducteurs, capables d'exécuter des algorithmes quantiques (avec correction d'erreurs limitée) – IBM a par exemple annoncé en 2023 une puce de 1 121 qubits supraconducteurs, et d'autres approches (piège d'ions, silicium) progressent également. Microsoft, en revanche, n'a pas encore démontré publiquement de calcul quantique avec ses propres qubits – ses huit qubits Majorana prétendus ne sont pas accessibles pour des tests algorithmiques et restent pour l'instant un exploit de laboratoire en cours d'homologation scientifique. La stratégie de Microsoft est donc un pari long terme : plutôt que de viser une suprématie quantique à court terme avec des qubits imparfaits, l'entreprise consacre ses efforts à réaliser un qubit fondamentalement plus stable, quitte à prendre du retard initial. Si ce qubit topologique s'avère opérationnel, Microsoft pourrait rattraper puis dépasser ses rivaux en construisant un ordinateur quantique complet avec beaucoup moins de qubits physiques (car chacun serait déjà fiable) et une intégration plus aisée. C'est un peu comme si, pendant que d'autres empilent des milliers de tubes à vide, Microsoft cherchait à inventer le transistor, pour reprendre l'analogie de Todd Holmdahl (Microsoft's next big bet? Clue: it's just hired four top quantum computing scientists | ZDNET). Le risque, évidemment, serait que la faisabilité pratique des qubits de Majorana mette plus de temps que prévu ou rencontre un obstacle fondamental inconnu, laissant Microsoft en arrière si les autres plateformes réussissent entre-temps à gérer l'erreur à grande échelle.
À l'heure actuelle, Microsoft maintient en parallèle une présence dans l'écosystème quantique via le cloud Azure Quantum, en offrant à ses clients l'accès à des qubits d'autres fournisseurs (ions piégés de Quantinuum, qubits supraconducteurs d'Oxford Quantum, etc.) (Microsoft’s Majorana 1 chip carves new path for quantum computing - Source) et en développant des logiciels et langages (comme Q#) pour se tenir prêt lorsque son propre matériel sera opérationnel. Cette approche prudente assure que, même si le qubit topologique prend du retard, Microsoft ne manquera pas le coche quantique. Néanmoins, le cœur du projet Majorana reste d'actualité en 2025 : les laboratoires poursuivent les expériences pour améliorer la cohérence des qubits en H, démontrer des opérations de braiding (échange de Majorana) et augmenter progressivement le nombre de qubits topologiques interconnectés. L'ambition affichée d'un million de qubits est encore lointaine, mais chaque étape validée (par exemple maintenir l'état quantique sur plusieurs microsecondes, ou démontrer un enchaînement fiable de deux portes logiques) renforcera la crédibilité de cette voie.
En termes de place dans la course, on peut dire que Microsoft joue le rôle de l'outsider innovant misant sur un coup de génie scientifique pour dépasser les approches plus conventionnelles. L'issue de cette course n'est pas encore écrite : il est possible que les qubits topologiques tiennent leurs promesses et révolutionnent le domaine, tout comme il est possible que des percées en correction d'erreurs ou en matériaux viennent réduire l'avantage attendu. Quoiqu'il en soit, Microsoft a fortement contribué à faire avancer la science des matériaux quantiques et notre compréhension des systèmes à Majorana. Même les chercheurs concurrents reconnaissent que ce que l'équipe a déjà accompli en termes d'ingénierie (par ex. la fabrication reproducible de nanofils topologiques ultra-propres) est un atout pour l'ensemble de la communauté, indépendamment du résultat final quant à l'ordinateur quantique.
Conclusion : l'importance des recherches sur les qubits de Majorana
Le projet quantique de Microsoft autour des quasi-particules de Majorana illustre à la fois la difficulté et la grandeur de la recherche de pointe. En s'attaquant au défi de l'informatique quantique topologique, Microsoft a ouvert une voie alternative courageuse pour réaliser un ordinateur quantique tolérant aux pannes. L'historique du projet montre une co-évolution de la théorie et de l'expérience : parti d'une idée abstraite (utiliser la topologie pour protéger l'information quantique), il a débouché sur des réalisations concrètes (matériaux, dispositifs) et des résultats scientifiques riches – y compris des leçons tirées d'erreurs ou d'interprétations hâtives, qui ont in fine renforcé la rigueur du domaine.
Les quasi-particules de Majorana occupent désormais une place centrale dans l'effort mondial pour construire des qubits robustes. Microsoft, grâce à ses moyens et à ses collaborations académiques, a permis d'approfondir notablement ce champ : détection plus fine des Majorana, compréhension des pièges (états d'Andreev, etc.), invention de procédés de fabrication dédiés (les fameux topoconducteurs), etc. Si ces recherches aboutissent, l'impact sera énorme : on disposerait de blocs de base quantiques nettement plus fiables, ce qui pourrait accélérer l'avènement d'ordinateurs quantiques utiles capables de résoudre des problèmes aujourd'hui inaccessibles. C'est pourquoi malgré les revers, l'effort continue et suscite un espoir – même prudent – dans la communauté scientifique. « La physique derrière la création des Majorana est bien comprise théoriquement... D'ordinaire, quand c'est le cas en physique de la matière condensée, la réalisation pratique ne tarde pas trop. Je suis assez confiant que dans les prochaines années, un ou plusieurs groupes trouveront des preuves solides », écrivait par exemple Sergey Frolov, l'un des critiques, en 2021 (Major Quantum Computing Strategy Suffers Serious Setbacks | Quanta Magazine).
En 2025, il est encore trop tôt pour dire si Microsoft remportera son pari topologique. Néanmoins, l'importance de ces recherches dépasse le cadre d'une seule entreprise : elles participent à l'exploration des fondements de la physique quantique et pourraient définir l'architecture des ordinateurs du futur. Quoi qu'il advienne, le projet Majorana de Microsoft aura marqué un chapitre fascinant de la course à l'ordinateur quantique, rappelant que des idées issues de la théorie la plus fondamentale (les particules de Majorana, la topologie) peuvent, des décennies plus tard, guider des innovations technologiques majeures. Le défi est grand, mais le jeu en vaut la chandelle : réussir signifierait « franchir le mur du million de qubits » et déverrouiller des possibilités de calcul sans précédent (Microsoft’s Majorana 1 chip carves new path for quantum computing - Source). Cette perspective suffit à justifier l'engagement continu de Microsoft et d'autres dans cette quête du qubit topologique idéal, dont l'aboutissement – si et quand il se produira – constituera une avancée scientifique et technologique majeure pour l'humanité.
Sources
Les informations présentées proviennent des publications officielles de Microsoft (communiqués, blog Microsoft Research), d'articles scientifiques et d'analyses spécialisés. Citons notamment Phys.org (Setback for Majorana fermion as Microsoft team retracts research paper) (Setback for Majorana fermion as Microsoft team retracts research paper), Science News (Physicists are mostly unconvinced by Microsoft’s new topological quantum chip) (Physicists are mostly unconvinced by Microsoft’s new topological quantum chip), Quanta Magazine (Major Quantum Computing Strategy Suffers Serious Setbacks | Quanta Magazine) (Major Quantum Computing Strategy Suffers Serious Setbacks | Quanta Magazine), Science/AAAS (Debate erupts around Microsoft’s blockbuster quantum computing claims | Science | AAAS) (Debate erupts around Microsoft’s blockbuster quantum computing claims | Science | AAAS), ainsi que des annonces Microsoft sur la puce Majorana 1 et les avancées du qubit topologique (Microsoft’s Majorana 1 chip carves new path for quantum computing - Source) (Microsoft’s Majorana 1 chip carves new path for quantum computing - Source), pour n'en nommer que quelques-uns. Ces sources assurent la fiabilité des faits rapportés et offrent un éclairage complet sur l'état de l'art du projet quantique de Microsoft lié aux quasi-particules de Majorana.
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