lundi, mars 31

Les essais transatlantiques d’amateurs et la Belgique.

« Verba volant, scripta manent Â»

1. Préliminaire

Nous devons rester extrĂȘmement prudents en abordant ce sujet et faire la part des choses entre ce qui s’est vraiment passĂ© et ce qui est pure invention de certains amateurs des annĂ©es 20 du siĂšcle passĂ© afin de se mettre en valeur.

La seule maniĂšre de sĂ©parer le vrai du faux quasiment 100 ans aprĂšs est de ne se baser que sur des documents Ă©crits dans la presse quotidienne et/ou dans les revues spĂ©cialisĂ©es de l’époque, juste aprĂšs les Ă©vĂšnements qui venaient d’avoir lieu.

Des ‘souvenirs’, racontĂ©s 30, 50 voire 60 ans aprĂšs sont agrĂ©ables Ă  lire, certes, mais doivent ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme anecdotiques et ne constituent pas des documents historiquement fiables.

2.  Encore et toujours Verviers !

À Verviers, les adeptes du « Tripotage Sans Fil Â», se groupĂšrent dĂšs 1922 sous l’égide de Mr. Laurent Henrotay, futur 4QS. Un club d’amateurs de T.S.F. fut constituĂ© le 26 mars de cette mĂȘme annĂ©e : Le « Radio-Club Belge de l’Est Â» (R.C.B.E.) Ă©tait nĂ©.Âč

La presse locale de Verviers (« Le Jour Â») publia le jeudi 14 dĂ©cembre 1922 un communiquĂ© anodin mais absolument Ă©tonnant de Mr. Henrotay.

Sous le titre assez vague de « RadiotĂ©lĂ©phonie et RadiotĂ©lĂ©graphie Â», il aborde le sujet des essais transatlantiques d’amateurs et informe ses lecteurs des rĂ©sultats, incontestablement une premiĂšre en Belgique.

Âč L’historique complet du « R.C.B.E Â» est retracĂ© dans mon ouvrage : « La Wallonie et le

   radioamateurisme au travers des archives et des Ă©crits de Pierre Stoffel (ON4PS) Â», paru

   aux Archives rĂ©gionales de Wallonie. (2019, pp. 34-48)

Plusieurs interprĂ©tations sont possibles :

◊   Mr. Henrotay Ă©tait un fidĂšle lecteur de la revue amĂ©ricaine « QST Â» et/ou de la

     revue anglaise « The Wireless World and Radio Review Â», qui firent un large Ă©cho

     aux essais transatlantiques.

◊   Mr. Henrotay fut mis au courant de ces essais transatlantiques par les 2 revues

     citĂ©es, diffusa cette information au sein de son club et se mit Ă  l’écoute en ce mois

     de dĂ©cembre 1922, puis publia les rĂ©sultats de la premiĂšre nuit d’écoute.

Voici donc une preuve irrĂ©futable d’une participation belge Ă  la 3Ăšme sĂ©rie des essais transatlantiques. MĂȘme s’il ne s’agit que de rĂ©ception, bien entendu.

Par contre, j’affirme avec certitude qu’aucun indicatif belge n’est mentionnĂ© dans les rĂ©sultats des 4 sĂ©ries d’essais transatlantiques. (1921-1924)

Rappelons Ă  ce sujet que toute Ă©mission d’amateur Ă©tait strictement interdite en Belgique. La presse locale de Verviers avait relayĂ© cette information.

A la demande d’un SĂ©nateur qui s’informait des possibilitĂ©s d’établir et de faire fonctionner des postes Ă©metteurs de T.S.F., le Ministre des Chemins de fer, M. Neujean a rĂ©pondu « qu’il importe d’attendre les dĂ©cisions qui pourront ĂȘtre prises en cette matiĂšre par la prochaine ConfĂ©rence Internationale de T.S.F. Â» (Courrier du Soir, 17/11/1922)

Cette dĂ©cision sera confirmĂ©e 2 ans plus tard. L’administration des tĂ©lĂ©graphes et tĂ©lĂ©phones rappellera en 1924 que « toute Ă©mission de radiations Ă©lectriques quelconques est formellement interdite Â». (Le Jour, 26/5/1924)

Bravant l’interdiction d’émettre, les pionniers verviĂ©tois avaient rendez-vous avec l’histoire.

Ils ne tardùrent pas à envisager la grande aventure, c’est-à-dire traverser l’Atlantique, la ‘Grande Mare aux harengs’.

Lors d’une soirĂ©e chez lui, le 31 Octobre 1924, Laurent Henrotay parvient Ă  dĂ©cider ses amis Ă  tenter des essais transatlantiques. Il est chargĂ© de se mettre en rapport avec les dirigeants de l’A.R.R.L.

« A une demande de participation faite Ă  l’A.R.R.L, Mr. Schnell, traffic manager, nous informait que ces essais lui paraissaient trĂšs tĂ©mĂ©raires, mais que le nĂ©cessaire serait fait dans l’éventualitĂ© de la rĂ©ussite, et quelques milliers de copies d’une invitation furent envoyĂ©es parmi tous les amateurs amĂ©ricains; l’annonce de ces essais Ă©tant tardive pour paraĂźtre Ă  date dans ‘QST’ »ÂČ

La liaison avec l’AmĂ©rique est donc dĂ©cidĂ©e au sein du Radio-Club (novembre 1924). En Belgique, personne n’avait encore rĂ©alisĂ© un tel exploit!

André Courtois, 4YZ, Vice-Président du R.C.B.E., téléphona triomphalement à ses amis le matin du jeudi 11 décembre 1924.

A 6h GMT, il Ă©tait entrĂ© en communication avec la station canadienne C 1AR, ‘Old Joe’ Fassett Ă  Halifax.

Cette PREMIÈRE liaison transatlantique bilatĂ©rale est confirmĂ©e dans le magazine ‘QST’ de l’A.R.R.L.

ÂČ Â« RADIO-ÉCHOS», Organe officiel du R.C.B.E., N°1 Janvier 1925, p. 6.

« Belgium became QSO the North American continent for the first time when c1AR ‘Old Joe’ Fasset, at Halifax, N.S. clicked with b4YZ on Dec.11th, the latter station using 9 watts input. 1QV, Westerly, R.I., worked P2, Brussels on Dec.20th, and on the 23rd W2, also in Brussels, worked u1KC (
) 1KC tied up with b4RS on Dec.24th, making the fourth Belgian to work this country. Â» (‘QST’ 02/1925, pp.13-14)

Ces ‘hardis et tĂ©mĂ©raires’ pionniers n’en restĂšrent pas lĂ  !

Le 25 dĂ©cembre, Mr. RenĂ© Pirotte, 4RS traverse Ă©galement l’Atlantique et contacte U 1KC. Ce mĂȘme jour, Mr. Courtois, 4YZ Ă©tablit une liaison avec U 2APY.

Le lendemain, Mr. Henrotay, 4QS communique avec U 1SF et U 3AB.

Ces essais transatlantiques rĂ©ussis et confirmĂ©s de 4QS, 4YZ et 4RS sont Ă©galement publiĂ©s dans la revue ‘Radio-Échos’, l’organe officiel du R.C.B.E. Dans son 1er numĂ©ro (janvier 1925), une liste exhaustive d’indicatifs entendus et contactĂ©s (des dizaines d’AmĂ©ricains !) est publiĂ©e.

Carte QSL de ‘4QS’ (Henrotay, T.S.F., Verviers Belgium,
30 novembre 1924)

3.  D’autres stations belges ?

Les sources bibliographiques se contredisent.

Dans un article intitulĂ© « Comment les appeler ?/How shall we call them ? Â», l’amateur amĂ©ricain Lloyd Jacquet, 2KT Ă©crit :

« At present, there are only Dutch, English, Spanish and French amateurs to muss up the ether of Europe ». (‘QST’, December 1922, p. 20.)

En Angleterre par contre, Philip R. Coursey, 2JK mentionne l’activitĂ© Ă©ventuelle de stations belges dans son article « More Transatlantic Tests for Amateurs Â».

« The tests on this occasion will embrace not only England and America but France, Belgium, Holland and probably Italy as well. (
) they will probably take place on a number of days during December ». (‘The Wireless World and Radio Review, 21st October 1922, p. 91.)

Dans ses « RĂ©sultats des essais transatlantiques Â», M. le Docteur P. Corret, prĂ©sident du ComitĂ© français des essais transatlantiques, signale que « au cours des essais de transmission effectuĂ©s en dĂ©cembre 1923 et en janvier 1924, 40 stations europĂ©ennes d’amateurs ont Ă©tĂ© entendues aux Etats-Unis et au Canada par 96 amateurs amĂ©ricains ; elles se rĂ©partissent en 20 stations britanniques, 14 stations françaises et 6 stations hollandaises ».

(‘RadioĂ©lectricitĂ©. Revue pratique de TSF’. N°61 du 10 juin 1924.)

Donc, mĂȘme lors de la 4Ăšme et derniĂšre sĂ©rie d’essais transatlantiques, il n’est fait mention d’aucune station belge ayant Ă©tabli une liaison bilatĂ©rale avec le continent amĂ©ricain.

Plus tard dans l’annĂ©e 1924, l’amateur britannique Hugh N. Ryan, 5BV signale dans sa rubrique « The Month’s’DX’ Â», publiĂ©e dans « Experimental Wireless. A Journal of Radio Research and Progress Â» la prĂ©sence sur l’air d’une station belge.

« Belgium now has an amateur transmitter, situated in Brussels, and using the callsign P2. His signals are quite strong, on about 118 metres. (
) Another station, P5, is working, but I do not know whether he is also Belgian ». (‘Experimental Wireless’ Vol.I, N°7, April 1924, p. 415.)

En cette fin d’annĂ©e 1924, les indicatifs du « RĂ©seau des 2 » de Bruxelles apparaissent timidement dans les rĂ©sultats de liaisons transatlantiques bilatĂ©rales. Ce groupe d’amateurs ‘sans-filistes’ se rĂ©unissait dans les locaux du « Cercle belge d’études radioĂ©lectriques Â» (CBER), au 3e Ă©tage du Palais d’Egmont. On y trouvait : P2, Robert Deloor, futur 4SA et prĂ©sident-fondateur du futur RĂ©seau Belge (1925); W2, Rudolph Couppez, correspondant belge de ‘L’Antenne’ ; D2, Georges Pollart, futur 4BY ; C2 ou 4C2, Joseph Mussche, futur 4BK et futur prĂ©sident de l’UBA dans les annĂ©es 50 ; B7, Constantin Haumont, Traffic manager et enfin K2, Hugo de Meyere, futur 4TI qui publia ses ‘Souvenirs’ en 1955 et 1956.

Alors que les liaisons radio, unilatĂ©rales ou bilatĂ©rales peuvent ĂȘtre entendues par d’autres amateurs sans-filistes, la rĂ©ception des amateurs amĂ©ricains en Europe est difficilement vĂ©rifiable.

Âł Le 12 aoĂ»t 1924, ce groupe se donna comme nom ‘Le RĂ©seau des 2’ car la plupart de leurs

  indicatifs se terminaient par le chiffre ‘2’. Ou Ă©tait-ce parce que les rĂ©unions se poursuivaient

  dans un cafĂ© appelĂ© ‘Les Deux BĂ©casses’ ? (plus tard : Ă  ‘La Lunette’, Place de la Monnaie)

Les essais transatlantiques sont évoqués plusieurs fois par Hugo de Meyere, ex-ON4TI dans

son  Â« Histoire du RĂ©seau Belge Â», article publiĂ© Ă  l’origine dans la revue ‘QSO’, de mars 1955 Ă  juillet/aoĂ»t 1956. (9 Ă©pisodes)

« Nous avions aussi lu et relu les articles de « Wireless World Â» ou l'amateur Godley, spĂ©cialement venu en Angleterre pour Ă©couter les amateurs amĂ©ricains, donnait les premiers rĂ©sultats du concours transatlantique oĂč 33 amateurs amĂ©ricains  avaient Ă©tĂ© reçus sur 200 mĂštres par Godley Â». (‘QSO’ N°7, juillet-aoĂ»t 1955, p. 118.)

« A cette Ă©poque, toutes les revues de radio publiaient des articles sensationnels sur la grande rĂ©ussite de ces essais transatlantiques faits par des amateurs qui, en utilisant des puissances relativement petites, avaient traversĂ© l’Atlantique avec des ondes dites courtes Â». (‘QSO’, ibid.)

AprĂšs son service militaire, il n’avait plus qu’une idĂ©e en tĂȘte : « monter un Ă©metteur sur ondes courtes de 200 mĂštres et participer a ce concours transatlantique Â». (‘QSO’, ibid. )

Le coeur y Ă©tait mais des difficultĂ©s techniques et surtout financiĂšres reprĂ©sentĂšrent un obstacle insurmontable, lorsqu’on se donne la peine de lire entre les lignes.

Ce long feuilleton, fort agrĂ©able Ă  lire au demeurant, contient de nombreux Ă©lĂ©ments non vĂ©rifiables et/ou erronĂ©s. Je doute fort de l’exactitude du texte anglais reproduit sur sa QSL ci-dessous.

Je suis tout aussi sceptique vis-Ă -vis des dĂ©clarations de son ami Louis Robert, ex-ON4LZ et ‘B2’ au RĂ©seau Belge, dans un article intitulĂ© « In Memoriam Â», publiĂ© Ă  l’occasion du dĂ©cĂšs de son ami.

« Membre actif du RĂ©seau Belge dĂšs sa fondation, constructeur rĂ©alisateur comme nous l’étions tous Ă  cette Ă©poque, il capta sur un rĂ©cepteur de sa fabrication (une dĂ©tectrice Ă  super rĂ©action suivie d’un Ă©tage BF) le mĂ©morable premier QSO transatlantique de F8AB, LĂ©on Deloy et U1 MO Schnell, aux USA Â». (‘CQ-QSO’, janvier 1983, p. 8.)

Mais il faut reconnaĂźtre que, tant d’annĂ©es aprĂšs ces liaisons bilatĂ©rales ou unilatĂ©rales transatlantiques, il s’avĂšre quasiment impossible de distinguer le vrai du faux, les protagonistes de l’époque Ă©tant dĂ©cĂ©dĂ©s depuis des dĂ©cennies maintenant.

Cet article fera l’objet de mises Ă  jour rĂ©guliĂšres en fonction de l’avancement de mes recherches.

Bibliographie

◊   Philip R. Coursey : « More Transatlantic Tests for Amateurs ». ‘The Wireless World and

     Radio Review’, 21st October 1922, p. 91.

◊   Lloyd Jacquet, 2KT: « Comment les appeler? (How shall we call them ?) ». ‘QST’,

     December 1922, pp. 20-21.

◊   Laurent Henrotay : « RadiotĂ©lĂ©graphie et RadiotĂ©lĂ©phonie Â». Journal ‘Le Jour’ (Verviers)

     du Jeudi 14 DĂ©cembre 1922.

◊   Journaux ‘Le Courrier du Soir’ et ‘Le Jour’ (Verviers), 1922-1924.

◊   « Radio-Échos », Organe officiel du R.C.B.E., N°1 Janvier 1925, p. 6.

◊   « The Month’s International DX Â». ‘QST’, February 1925, pp. 13-14.

◊   Dr. Pierre Corret: « RĂ©sultats des essais transatlantiques ». ‘RadioĂ©lectricité’ N°61, 10

     Juin 1924.

◊   Hugh N. Ryan, 5BV: « The Month’s “DX”». ‘Experimental Wireless’, April 1924, p. 415.

◊   Hugo de Meyere, ON4TI : « Histoire du RĂ©seau Belge ». ‘QSO’ 03/1955 – 07-08/1955.

◊   Louis Robert, ON4LZ : « In Memoriam ». ‘CQ-QSO’ 01/1983, p. 8.

◊   Pierre Stoffel, ON4PS : « La Wallonie et le radioamateurisme ». Archives+. Le semestriel

     du service des Archives rĂ©gionales de Wallonie, 2019/2, pp. 34-48.

◊   Cartes QSL. (Collection personnelle de l’auteur)

Pierre Stoffel ON4PS

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