« Verba volant, scripta manent »
1. Préliminaire
Nous devons rester extrĂȘmement prudents en abordant ce sujet et faire la part des choses entre ce qui sâest vraiment passĂ© et ce qui est pure invention de certains amateurs des annĂ©es 20 du siĂšcle passĂ© afin de se mettre en valeur.
La seule maniĂšre de sĂ©parer le vrai du faux quasiment 100 ans aprĂšs est de ne se baser que sur des documents Ă©crits dans la presse quotidienne et/ou dans les revues spĂ©cialisĂ©es de lâĂ©poque, juste aprĂšs les Ă©vĂšnements qui venaient dâavoir lieu.
Des âsouvenirsâ, racontĂ©s 30, 50 voire 60 ans aprĂšs sont agrĂ©ables Ă lire, certes, mais doivent ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme anecdotiques et ne constituent pas des documents historiquement fiables.
2. Encore et toujours Verviers !
Ă Verviers, les adeptes du « Tripotage Sans Fil », se groupĂšrent dĂšs 1922 sous lâĂ©gide de Mr. Laurent Henrotay, futur 4QS. Un club dâamateurs de T.S.F. fut constituĂ© le 26 mars de cette mĂȘme annĂ©e : Le « Radio-Club Belge de lâEst » (R.C.B.E.) Ă©tait nĂ©.Âč
La presse locale de Verviers (« Le Jour ») publia le jeudi 14 décembre 1922 un communiqué anodin mais absolument étonnant de Mr. Henrotay.
Sous le titre assez vague de « RadiotĂ©lĂ©phonie et RadiotĂ©lĂ©graphie », il aborde le sujet des essais transatlantiques dâamateurs et informe ses lecteurs des rĂ©sultats, incontestablement une premiĂšre en Belgique.

Âč Lâhistorique complet du « R.C.B.E » est retracĂ© dans mon ouvrage : « La Wallonie et le
radioamateurisme au travers des archives et des écrits de Pierre Stoffel (ON4PS) », paru
aux Archives régionales de Wallonie. (2019, pp. 34-48)
Plusieurs interprétations sont possibles :
â Mr. Henrotay Ă©tait un fidĂšle lecteur de la revue amĂ©ricaine « QST » et/ou de la
revue anglaise « The Wireless World and Radio Review », qui firent un large écho
aux essais transatlantiques.
â Mr. Henrotay fut mis au courant de ces essais transatlantiques par les 2 revues
citĂ©es, diffusa cette information au sein de son club et se mit Ă lâĂ©coute en ce mois
de dĂ©cembre 1922, puis publia les rĂ©sultats de la premiĂšre nuit dâĂ©coute.
Voici donc une preuve irrĂ©futable dâune participation belge Ă la 3Ăšme sĂ©rie des essais transatlantiques. MĂȘme sâil ne sâagit que de rĂ©ception, bien entendu.
Par contre, jâaffirme avec certitude quâaucun indicatif belge nâest mentionnĂ© dans les rĂ©sultats des 4 sĂ©ries dâessais transatlantiques. (1921-1924)
Rappelons Ă ce sujet que toute Ă©mission dâamateur Ă©tait strictement interdite en Belgique. La presse locale de Verviers avait relayĂ© cette information.
A la demande dâun SĂ©nateur qui sâinformait des possibilitĂ©s dâĂ©tablir et de faire fonctionner des postes Ă©metteurs de T.S.F., le Ministre des Chemins de fer, M. Neujean a rĂ©pondu « quâil importe dâattendre les dĂ©cisions qui pourront ĂȘtre prises en cette matiĂšre par la prochaine ConfĂ©rence Internationale de T.S.F. » (Courrier du Soir, 17/11/1922)
Cette dĂ©cision sera confirmĂ©e 2 ans plus tard. Lâadministration des tĂ©lĂ©graphes et tĂ©lĂ©phones rappellera en 1924 que « toute Ă©mission de radiations Ă©lectriques quelconques est formellement interdite ». (Le Jour, 26/5/1924)
Bravant lâinterdiction dâĂ©mettre, les pionniers verviĂ©tois avaient rendez-vous avec lâhistoire.
Ils ne tardĂšrent pas Ă envisager la grande aventure, câest-Ă -dire traverser lâAtlantique, la âGrande Mare aux harengsâ.
Lors dâune soirĂ©e chez lui, le 31 Octobre 1924, Laurent Henrotay parvient Ă dĂ©cider ses amis Ă tenter des essais transatlantiques. Il est chargĂ© de se mettre en rapport avec les dirigeants de lâA.R.R.L.
« A une demande de participation faite Ă lâA.R.R.L, Mr. Schnell, traffic manager, nous informait que ces essais lui paraissaient trĂšs tĂ©mĂ©raires, mais que le nĂ©cessaire serait fait dans lâĂ©ventualitĂ© de la rĂ©ussite, et quelques milliers de copies dâune invitation furent envoyĂ©es parmi tous les amateurs amĂ©ricains; lâannonce de ces essais Ă©tant tardive pour paraĂźtre Ă date dans âQSTâ »ÂČ
La liaison avec lâAmĂ©rique est donc dĂ©cidĂ©e au sein du Radio-Club (novembre 1924). En Belgique, personne nâavait encore rĂ©alisĂ© un tel exploit!
André Courtois, 4YZ, Vice-Président du R.C.B.E., téléphona triomphalement à ses amis le matin du jeudi 11 décembre 1924.
A 6h GMT, il Ă©tait entrĂ© en communication avec la station canadienne C 1AR, âOld Joeâ Fassett Ă Halifax.
Cette PREMIĂRE liaison transatlantique bilatĂ©rale est confirmĂ©e dans le magazine âQSTâ de lâA.R.R.L.
ÂČ Â« RADIO-ĂCHOS», Organe officiel du R.C.B.E., N°1 Janvier 1925, p. 6.
« Belgium became QSO the North American continent for the first time when c1AR âOld Joeâ Fasset, at Halifax, N.S. clicked with b4YZ on Dec.11th, the latter station using 9 watts input. 1QV, Westerly, R.I., worked P2, Brussels on Dec.20th, and on the 23rd W2, also in Brussels, worked u1KC (âŠ) 1KC tied up with b4RS on Dec.24th, making the fourth Belgian to work this country. » (âQSTâ 02/1925, pp.13-14)
Ces âhardis et tĂ©mĂ©rairesâ pionniers nâen restĂšrent pas lĂ !
Le 25 dĂ©cembre, Mr. RenĂ© Pirotte, 4RS traverse Ă©galement lâAtlantique et contacte U 1KC. Ce mĂȘme jour, Mr. Courtois, 4YZ Ă©tablit une liaison avec U 2APY.
Le lendemain, Mr. Henrotay, 4QS communique avec U 1SF et U 3AB.
Ces essais transatlantiques rĂ©ussis et confirmĂ©s de 4QS, 4YZ et 4RS sont Ă©galement publiĂ©s dans la revue âRadio-Ăchosâ, lâorgane officiel du R.C.B.E. Dans son 1er numĂ©ro (janvier 1925), une liste exhaustive dâindicatifs entendus et contactĂ©s (des dizaines dâAmĂ©ricains !) est publiĂ©e.

30 novembre 1924)
3. Dâautres stations belges ?
Les sources bibliographiques se contredisent.
Dans un article intitulĂ© « Comment les appeler ?/How shall we call them ? », lâamateur amĂ©ricain Lloyd Jacquet, 2KT Ă©crit :
« At present, there are only Dutch, English, Spanish and French amateurs to muss up the ether of Europe ». (âQSTâ, December 1922, p. 20.)
En Angleterre par contre, Philip R. Coursey, 2JK mentionne lâactivitĂ© Ă©ventuelle de stations belges dans son article « More Transatlantic Tests for Amateurs ».
« The tests on this occasion will embrace not only England and America but France, Belgium, Holland and probably Italy as well. (âŠ) they will probably take place on a number of days during December ». (âThe Wireless World and Radio Review, 21st October 1922, p. 91.)
Dans ses « RĂ©sultats des essais transatlantiques », M. le Docteur P. Corret, prĂ©sident du ComitĂ© français des essais transatlantiques, signale que « au cours des essais de transmission effectuĂ©s en dĂ©cembre 1923 et en janvier 1924, 40 stations europĂ©ennes dâamateurs ont Ă©tĂ© entendues aux Etats-Unis et au Canada par 96 amateurs amĂ©ricains ; elles se rĂ©partissent en 20 stations britanniques, 14 stations françaises et 6 stations hollandaises ».
(âRadioĂ©lectricitĂ©. Revue pratique de TSFâ. N°61 du 10 juin 1924.)
Donc, mĂȘme lors de la 4Ăšme et derniĂšre sĂ©rie dâessais transatlantiques, il nâest fait mention dâaucune station belge ayant Ă©tabli une liaison bilatĂ©rale avec le continent amĂ©ricain.
Plus tard dans lâannĂ©e 1924, lâamateur britannique Hugh N. Ryan, 5BV signale dans sa rubrique « The MonthâsâDXâ », publiĂ©e dans « Experimental Wireless. A Journal of Radio Research and Progress » la prĂ©sence sur lâair dâune station belge.
« Belgium now has an amateur transmitter, situated in Brussels, and using the callsign P2. His signals are quite strong, on about 118 metres. (âŠ) Another station, P5, is working, but I do not know whether he is also Belgian ». (âExperimental Wirelessâ Vol.I, N°7, April 1924, p. 415.)
En cette fin dâannĂ©e 1924, les indicatifs du « RĂ©seau des 2 » de Bruxelles apparaissent timidement dans les rĂ©sultats de liaisons transatlantiques bilatĂ©rales. Ce groupe dâamateurs âsans-filistesâ se rĂ©unissait dans les locaux du « Cercle belge dâĂ©tudes radioĂ©lectriques » (CBER), au 3e Ă©tage du Palais dâEgmont. On y trouvait : P2, Robert Deloor, futur 4SA et prĂ©sident-fondateur du futur RĂ©seau Belge (1925); W2, Rudolph Couppez, correspondant belge de âLâAntenneâ ; D2, Georges Pollart, futur 4BY ; C2 ou 4C2, Joseph Mussche, futur 4BK et futur prĂ©sident de lâUBA dans les annĂ©es 50 ; B7, Constantin Haumont, Traffic manager et enfin K2, Hugo de Meyere, futur 4TI qui publia ses âSouvenirsâ en 1955 et 1956.


Alors que les liaisons radio, unilatĂ©rales ou bilatĂ©rales peuvent ĂȘtre entendues par dâautres amateurs sans-filistes, la rĂ©ception des amateurs amĂ©ricains en Europe est difficilement vĂ©rifiable.
Âł Le 12 aoĂ»t 1924, ce groupe se donna comme nom âLe RĂ©seau des 2â car la plupart de leurs
indicatifs se terminaient par le chiffre â2â. Ou Ă©tait-ce parce que les rĂ©unions se poursuivaient
dans un cafĂ© appelĂ© âLes Deux BĂ©cassesâ ? (plus tard : Ă âLa Lunetteâ, Place de la Monnaie)
Les essais transatlantiques sont évoqués plusieurs fois par Hugo de Meyere, ex-ON4TI dans
son « Histoire du RĂ©seau Belge », article publiĂ© Ă lâorigine dans la revue âQSOâ, de mars 1955 Ă juillet/aoĂ»t 1956. (9 Ă©pisodes)
« Nous avions aussi lu et relu les articles de « Wireless World » ou l'amateur Godley, spĂ©cialement venu en Angleterre pour Ă©couter les amateurs amĂ©ricains, donnait les premiers rĂ©sultats du concours transatlantique oĂč 33 amateurs amĂ©ricains avaient Ă©tĂ© reçus sur 200 mĂštres par Godley ». (âQSOâ N°7, juillet-aoĂ»t 1955, p. 118.)
« A cette Ă©poque, toutes les revues de radio publiaient des articles sensationnels sur la grande rĂ©ussite de ces essais transatlantiques faits par des amateurs qui, en utilisant des puissances relativement petites, avaient traversĂ© lâAtlantique avec des ondes dites courtes ». (âQSOâ, ibid.)
AprĂšs son service militaire, il nâavait plus quâune idĂ©e en tĂȘte : « monter un Ă©metteur sur ondes courtes de 200 mĂštres et participer a ce concours transatlantique ». (âQSOâ, ibid. )
Le coeur y Ă©tait mais des difficultĂ©s techniques et surtout financiĂšres reprĂ©sentĂšrent un obstacle insurmontable, lorsquâon se donne la peine de lire entre les lignes.
Ce long feuilleton, fort agrĂ©able Ă lire au demeurant, contient de nombreux Ă©lĂ©ments non vĂ©rifiables et/ou erronĂ©s. Je doute fort de lâexactitude du texte anglais reproduit sur sa QSL ci-dessous.

Je suis tout aussi sceptique vis-Ă -vis des dĂ©clarations de son ami Louis Robert, ex-ON4LZ et âB2â au RĂ©seau Belge, dans un article intitulĂ© « In Memoriam », publiĂ© Ă lâoccasion du dĂ©cĂšs de son ami.
« Membre actif du RĂ©seau Belge dĂšs sa fondation, constructeur rĂ©alisateur comme nous lâĂ©tions tous Ă cette Ă©poque, il capta sur un rĂ©cepteur de sa fabrication (une dĂ©tectrice Ă super rĂ©action suivie dâun Ă©tage BF) le mĂ©morable premier QSO transatlantique de F8AB, LĂ©on Deloy et U1 MO Schnell, aux USA ». (âCQ-QSOâ, janvier 1983, p. 8.)
Mais il faut reconnaĂźtre que, tant dâannĂ©es aprĂšs ces liaisons bilatĂ©rales ou unilatĂ©rales transatlantiques, il sâavĂšre quasiment impossible de distinguer le vrai du faux, les protagonistes de lâĂ©poque Ă©tant dĂ©cĂ©dĂ©s depuis des dĂ©cennies maintenant.
Cet article fera lâobjet de mises Ă jour rĂ©guliĂšres en fonction de lâavancement de mes recherches.
Bibliographie
â Philip R. Coursey : « More Transatlantic Tests for Amateurs ». âThe Wireless World and
Radio Reviewâ, 21st October 1922, p. 91.
â Lloyd Jacquet, 2KT: « Comment les appeler? (How shall we call them ?) ». âQSTâ,
December 1922, pp. 20-21.
â Laurent Henrotay : « RadiotĂ©lĂ©graphie et RadiotĂ©lĂ©phonie ». Journal âLe Jourâ (Verviers)
du Jeudi 14 DĂ©cembre 1922.
â Journaux âLe Courrier du Soirâ et âLe Jourâ (Verviers), 1922-1924.
â « Radio-Ăchos », Organe officiel du R.C.B.E., N°1 Janvier 1925, p. 6.
â « The Monthâs International DX ». âQSTâ, February 1925, pp. 13-14.
â Dr. Pierre Corret: « RĂ©sultats des essais transatlantiques ». âRadioĂ©lectricitĂ©â N°61, 10
Juin 1924.
â Hugh N. Ryan, 5BV: « The Monthâs âDXâ». âExperimental Wirelessâ, April 1924, p. 415.
â Hugo de Meyere, ON4TI : « Histoire du RĂ©seau Belge ». âQSOâ 03/1955 â 07-08/1955.
â Louis Robert, ON4LZ : « In Memoriam ». âCQ-QSOâ 01/1983, p. 8.
â Pierre Stoffel, ON4PS : « La Wallonie et le radioamateurisme ». Archives+. Le semestriel
du service des Archives régionales de Wallonie, 2019/2, pp. 34-48.
â Cartes QSL. (Collection personnelle de lâauteur)