lundi, mars 31

L'histoire de Marius Libert (SK), ex- ON4CN

J'ai trouvĂ© un article fort intĂ©ressant sur le site du Radio Club du Borinage. L'histoire de Marius Libert (SK), ex- ON4CN, PrĂ©sident d’Honneur de ON6RM, un des plus anciens radioamateurs dans la rĂ©gion de Mons.
Cet article est passionnant Ă  lire, voilĂ  pourquoi je me permets de le reproduire ici. (quelques corrections stylistiques et orthographiques - ON4PS)

Comment Monsieur Libert en vint il à faire ses débuts en radio? Laissons lui la parole.

Alors que j’étais jeune Ă©tudiant, je m’intĂ©ressais dĂ©jĂ  Ă  la radio, mais mes Ă©tudes me prenaient beaucoup de temps car il y avait deux Ă©preuves pratiques en deuxiĂšme session pour obtenir le diplĂŽme d’enseignant. J’ai commencĂ© dans les annĂ©es 1920 Ă  faire de l’écoute de la radiodiffusion (pas nĂ©cessairement des ondes courtes) sur mon poste Ă  galĂšne On Ă©coutait surtout le soir les postes Anglais, Français, comme Le Petit Parisien, Radiola, qui travaillaient sur ondes moyennes. Les ondes courtes, Ă  cette Ă©poque, n’étaient pas encore occupĂ©es par le broadcasting (radiodiffusion). L’écoute se faisait ordinairement au casque, mais en le plaçant dans un rĂ©cipient, il faisait office de haut-parleur. Tous, nous Ă©tions rĂ©unis autour de la table pour Ă©couter les Ă©missions. Ce rĂ©cepteur fonctionnait bien mais Ă©videmment le son n’était pas trĂšs audible. L’antenne Ă©tait gĂ©nĂ©ralement un long fil de cuivre ou de bronze que l’on tendait au jardin. Evidemment, il fallait prendre la prĂ©caution de disposer des bouchons de liĂšge pour Ă©viter de blesser les pigeons du voisin. Cette obligation de protĂ©ger les volatiles faisait l’objet d’un rĂšglement communal Ă  l’époque. Mon second poste fut un montage Ă  une lampe que l’on appelait "Poste Ă  RĂ©action " . Il Ă©tait Ă©quipĂ© de rĂ©sistances et de condensateurs rĂ©alisĂ©s Ă  la main. J’ai fabriquĂ© des condensateurs fixes, variables Ă  tiroir, rotatifs avec flasques de forme cylindrique. J’avais achetĂ© pour cela des tiges filetĂ©es et des rondelles en laiton, les flasques Ă©taient tout simplement du bois paraffinĂ© qui servait d’isolant. Les bobinages Ă©taient souvent rĂ©alisĂ©s suivant les systĂšmes "fond de panier " ou alors en "nid d’abeilles " , et cela sans machine. Ce montage Ă©quipĂ© d’une seule lampe fonctionna trĂšs bien. Pour augmenter la sensibilitĂ© du poste, on dĂ©culottait le tube parce que l’isolant Ă©tait de mauvaise qualitĂ©. Le fait d’avoir uniquement le verre et les fils sortant de la lampe multipliait la sensibilitĂ© par 10 .Il y avait en ce temps lĂ  un journal hebdomadaire qui avait pour titre « L’ANTENNE », un journal français sur papier jaune Ă©ditĂ© par des radioamateurs expĂ©rimentĂ©s, faisant des articles techniques bien documentĂ©s et sĂ©rieux. On parlait de montages broadcasting et c’est ainsi que j’ai construit un poste Ă  lampes et bobinages qui Ă©taient montĂ©s sur pivots. Il y avait trois selfs, l’une Ă©tait fixe et les deux autres Ă©taient placĂ©es avec pivots sur le panneau avant du poste. Les deux condensateurs variables se trouvaient en retrait de la face avant. C’était un poste comportant un Ă©tage d’amplification de hautes frĂ©quences, un Ă©tage dĂ©tecteur Ă  rĂ©action et un Ă©tage amplificateur de basses frĂ©quences. J’ai construit le haut-parleur avec un vieux moteur, le cĂŽne Ă©tait en carton lĂ©ger. J’avais construit tout cela moi-mĂȘme car le matĂ©riel Ă  cette Ă©poque coĂ»tait assez cher .

Au dĂ©but, les postes Ă©taient alimentĂ©s par des accus construits de façon artisanale. Le chargeur Ă©tait constituĂ© d’un redresseur et de plusieurs soupapes Ă©lectrolytiques construites avec des tubes en verre contenant du bicarbonate de soude !. Je ne citerai pas le nom d’un ami qui un soir de cuite et recherchant du bicarbonate de soude, avait vidĂ© accidentellement le contenu d’une soupape Ă©lectrolytique. Pour ma part, je redressais la tension alternative avec 16 soupapes pour recharger mes accus de 120 volts. Les grosses firmes de l’époque comme « Thomson » et « S.B.R » construisaient de trĂšs bons postes de radio qui Ă©taient de technique avancĂ©e. Par la suite, on travaillait sur le secteur, il a fallu construire les transformateurs. Les lampes Ă©taient chauffĂ©es en alternatif sous des tensions allant de 4 Ă  5 volts et 6,3 volts pour les lampes Ă©quipant les postes amĂ©ricains.

On peut dire qu’il y avait eu une sĂ©rieuse Ă©volution puisque du simple poste Ă  une lampe, on a adjoint un Ă©tage Ă  hautes frĂ©quences, ensuite un Ă©tage de basses frĂ©quences, pour arriver enfin au Super Ă  quatre lampes. Il n’y avait pas d’étage de moyennes frĂ©quences. On faisait de la dĂ©tection par tube diode du genre 6H6 et puis les postes sont devenus de en plus compliquĂ©s et comprenaient de 7 Ă  8 lampes. Enfin, j’ai assemblĂ© un poste hĂ©tĂ©rodyne comportant 9 Ă  10 tubes dont chaque lampe ne remplissait qu’une fonction. On utilisait les montages appelĂ©s C119 et C119 bis qui Ă©taient trĂšs en vogue chez les amateurs. C’est ainsi que d’astuces en astuces, je suis arrivĂ© Ă  obtenir des rĂ©cepteurs trĂšs sensibles et trĂšs sĂ©lectifs malgrĂ© mes pauvres ressources.

Quelles Ă©taient les stations entendues Ă  cette Ă©poque dans les annĂ©es 1920-25 ?

Au point de vue amateur les stations que l’on entendait au dĂ©but Ă©taient des stations amĂ©ricaines car elles Ă©mettaient dĂ©jĂ  avant nous. On entendait aussi des indicatifs français, anglais et allemands, puis un peu plus tard des Russes. Toute l’Europe Ă©tait entendue uniquement en tĂ©lĂ©graphie (morse). C’est seulement aprĂšs que les essais en tĂ©lĂ©phonie ont commencĂ©. Au point de vue radiodiffusion on Ă©coutait surtout le soir avec la galĂšne, ensuite avec le poste Ă  rĂ©action on recevait des stations Ă©trangĂšres. Ces stations Ă©taient trĂšs bien reçues ici Ă  Jemappes (MONS) , mais il fallait attendre le soir car ces postes Ă©mettaient en petite puissance. Naturellement, la nuit favorisait la propagation des ondes. Il y avait aussi la Tour Eiffel qui Ă©mettait des signaux horaires sur ondes longues. (aux environs de 2000 mĂštres). Dans la rĂ©gion, les stations locales ont dĂ©marrĂ© dans les annĂ©es 1935: Radio Binche, Radio ChĂątelineau et aussi Radio Wallonia. C’étaient des Ă©metteurs de faible puissance qui Ă©taient trĂšs suivis et avaient une bonne audience. Citons Ă©galement Radio LiĂšge ainsi que certains postes rĂ©gionaux flamands. VoilĂ  donc comment Monsieur Libert rĂ©alisa avec du matĂ©riel prĂ©caire pour l’époque, ses postes de radio lui permettant d’écouter le monde entier. Cela reprĂ©sentait dĂ©jĂ  un exploit peu banal dans notre rĂ©gion. Evidemment, ON4CN n’en resta pas lĂ  et il nous explique rĂ©ellement ses dĂ©buts en temps que RadioAmateur .

DeuxiĂšme Partie :

L’émission des ondes

1924 est l’annĂ©e de l’obtention de mon diplĂŽme d’instituteur au jury central. C’est Ă  cette Ă©poque que j’ai commencĂ© les premiers essais dans la bande des 180 mĂštres avec mon ami ON4CP Willy Geronnez .
Etudiant ingĂ©nieur, il habitait FlĂ©nu oĂč nous avons fait la premiĂšre liaison radio en tĂ©lĂ©phonie sans modulation. L’antenne Ă©tait constituĂ©e par une sorte de cage, il y avait deux cercles en fil de gros diamĂštre aux extrĂ©mitĂ©s. Au centre, il y avait un rĂ©seau de fils d’une longueur de 6 Ă  10 mĂštres (on installait le tout selon la topographie des lieux). D’ailleurs, on ne mesurait pas car on ne connaissait rien dans la thĂ©orie des antennes en ce temps-lĂ  . On plaçait l’antenne dans le jardin, cela marchait ou ne marchait pas. Alors, on en modifiait la longueur pour obtenir un bon rĂ©sultat. On modulait en plaçant directement un microphone du type charbon que j’ai fabriquĂ© moi-mĂȘme avec de l'anthracite. Je plaçais ce composant extraordinaire dans l’antenne et c’était parti. Evidemment, on obtenait quand mĂȘme des rĂ©sultats puisque entre nos stations, il y avait Ă  peine un kilomĂštre et nous n’avions pas de difficultĂ©s pour nous comprendre. Bien sĂ»r, la modulation n’était certainement pas trĂšs fidĂšle, il y avait beaucoup mieux quand on parvenait dĂ©jĂ  Ă  communiquer nous Ă©tions on ne peut plus joyeux. Alors, comme l’on dit par ici « On jetait sa casquette en l’air » de contentement ! .
Par la suite, j’ai travaillĂ© en ondes courtes parce que jadis, elles commençaient seulement a ĂȘtre connues et utilisĂ©es. Alors, j’ai installĂ© dans le jardin, une antenne qui mesurait 90 mĂštres depuis la rue jusqu’au fond du jardin. Au bout, il y avait un mĂąt de sapin que l’on allait chercher au charbonnage. J’ai tendu une antenne qui Ă©tait Ă©quipĂ©e d’un contrepoids. Il Ă©tait constituĂ© par un fil isolĂ© d’une longueur de 20 mĂštres Ă  une distance d’environ 1,5 mĂštres de la terre. Ce contrepoids reprĂ©sentait plus ou moins l’image de l’antenne. Enfin, cela marchait et j’en Ă©tais ravi. La premiĂšre grande liaison radio et c’est du reste la plus belle, Ă©tait celle Ă©tablie avec un radioamateur NĂ©o-ZĂ©landais. (indicatif ZL2BZ). Je l’ai contactĂ© en tĂ©lĂ©graphie dans la bande des 20 mĂštres. J’ai Ă©tĂ© reçu dans de bonnes conditions puisqu’il ma donnĂ© le report de 56.

Et tout ceci avec du matĂ©riel dont l’isolement Ă©tait faible. MalgrĂ© cela, j’ai rĂ©alisĂ© le plus lointain contact radio, bien avant d’avoir contactĂ© des stations amĂ©ricaines. Je pense qu’une telle rĂ©alisation tenait de l’exploit en ce temps-lĂ . Ensuite, j’ai continuĂ© avec deux amis dont l’un avait fait son Ă©cole coloniale, l’autre Ă©tait Maurice Meunier de Mons . Il avait fait l’école des mines et est malheureusement dĂ©cĂ©dĂ© aprĂšs avoir travaillĂ© au Congo . Il avait pour indicatif S5 puis CH2 et lorsqu’il venait Ă  la maison, il disait qu’il Ă©tait en "Mission d'amateur" . En fait, il essayait de faire des adeptes pour la radio. Il faisait de trĂšs bonnes Ă©missions avec ses appareils. D’autres stations de la rĂ©gion travaillaient avec les indicatifs B2-G4-S3 . Pour ma part, je dois vous dire que j’ai utilisĂ© l’indicatif O5 , et puis je me suis attribuĂ© l’indicatif 4LI . C’était le plus simple en tĂ©lĂ©graphie et cela se manipulait trĂšs facilement. Il n’y avait pas de lĂ©gislation existante en ce temps- lĂ  et on n’était pas ennuyĂ©s. Quand on Ă©mettait, le glissement de frĂ©quence Ă©tait trĂšs important et il fallait souvent rechercher son correspondant au bout de la bande rĂ©servĂ©e aux radioamateurs. Les signaux manquaient de stabilitĂ© car les montages n’étaient pas suffisamment Ă©laborĂ©s. C’était rĂ©ellement un tour de force pour faire un QSO valable. A ce point de vue, les AmĂ©ricains maĂźtrisaient mieux cette technique et avaient certainement 4 Ă  5 ans d’avance sur nous.

Comment Ă©tait la premiĂšre station d’émission ?

Au dĂ©but, l’émetteur Ă©tait constituĂ© d’un tube de basses frĂ©quences de la firme Radio Technique. J’ai aussi employĂ© des B406 ou B409 de PHILIPS . Plus tard, j’ai utilisĂ© deux lampes en Push Pull sur un support que l’on fabriquait avec du mica, des buselures, et qui Ă©taient placĂ©es dos Ă  dos. Cet Ă©metteur Ă©tait montĂ© sur une planchette suivant le systĂšme de l’oscillateur Hartley. Lorsque l’on travaillait en tĂ©lĂ©graphie, on utilisait de l’alternatif brut. Puis, on dĂ©laissa la tension de secteur qui a Ă©tĂ© ensuite redressĂ©e et filtrĂ©e par des soupapes Ă©lectrolytiques. Il y avait des blocs d’accus de 40 ou de 80 volts en sĂ©rie. Tout cela donnait tout de mĂȘme, Ă  la rĂ©ception, une bonne note avec un ton du genre mille pĂ©riodes, un peu comme les sirĂšnes de navire. Ce n’était pas facile de communiquer, surtout avec la faible puissance dont on disposait. Quand on brisait accidentellement un tube, cela coĂ»tait trĂšs cher. En effet, le prix d’une lampe Ă©tait alors de 120 francs. Pour vous faire une comparaison, mon pĂšre gagnait en ce temps-lĂ  5 francs par jour, ce qui reprĂ©sentait 24 journĂ©es de travail! Le rĂ©cepteur Ă©tait du type BOURNE en montage sur planchette avec de petites lampes de genre A410, A415 Ă  faible consommation car il fallait prĂ©server les accus et ne pas les recharger trop souvent. En 1935 , j’ai obtenu mon indicatif officiel de ON4CN aprĂšs avoir passĂ© l’examen Ă  la RĂ©gie des TĂ©lĂ©graphes et des TĂ©lĂ©phones Ă  Bruxelles. A cette Ă©poque, il fallait rĂ©ussir les deux Ă©preuves (TĂ©lĂ©graphie et tĂ©lĂ©phonie) pour obtenir la licence. J’étais accompagnĂ© de mon ami GĂ©rard Caudrelier , professeur de langues dans une Ă©cole moyenne, et d’un mĂ©decin qui opĂ©rait Ă  la clinique de Warquignies. .J’ai testĂ© pratiquement tous les systĂšmes de modulation d’amplitude. . Ces essais ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©s entre autres, avec mon ami Fernand Delbrouck (ON4LB) habitant Ciply . La belle modulation d’amplitude Ă©tait alors trĂšs apprĂ©ciĂ©e lors des contacts locaux ou lointains. VoilĂ  comment un groupe de radioamateurs de notre terroir a sensiblement contribuĂ© aux premiers pas dans la grande aventure des tĂ©lĂ©communications.

Pierre Stoffel ON4PS

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