lundi, mars 31

Les débuts du radio-amateurisme en Belgique

Les ‘amateurs de TSF’ des annĂ©es 20 Ă©taient des auditeurs-bricoleurs qui, dans leur enthousiasme de nĂ©ophytes, ne se souvenaient certainement pas de l’existence de certains de leurs aĂźnĂ©s qui, dĂšs les premiĂšres Ă©missions radiotĂ©lĂ©graphiques officielles Ă©closes aux alentours de 1901, s’entraĂźnaient patiemment Ă  la lecture au son sur des postes fabriquĂ©s de A Ă  Z par leurs soins.

Le terme ‘amateur’ Ă©tait lancĂ© : il englobait tous ceux qui s’intĂ©ressaient aux diverses manifestations audibles de la radio : une puissante coalition d’auditeurs de radios-concerts (BCL), groupĂ©s en ‘Radio Club’ dans la plupart de nos villes belges d’une part et une poignĂ©e d’amateurs-Ă©metteurs (en devenir) de l’autre.
Ces premiers amateurs furent vite lassĂ©s de recevoir la mĂ©tĂ©o et/ou de vagues radiotĂ©lĂ©grammes qu’échangeaient entre eux quelques navires en mer.
Ils supposĂšrent que l’émission ne devait pas ĂȘtre plus difficile Ă  expĂ©rimenter que la rĂ©ception. L’apparition de la lampe triode (TM) autorisa les plus grands espoirs et fit accomplir aux amateurs-Ă©metteurs des pas de gĂ©ants Ă  leur technique. Le mĂȘme engouement ralliait les ‘mordus’ dans divers pays du monde et en Belgique, dans diverses villes du pays. (Bruxelles, Verviers, Knokke 
)
A part les intĂ©ressĂ©s rĂ©sidant dans la mĂȘme localitĂ©, la grande majoritĂ© des amateurs ne possĂ©daient aucune liaison et les uns et les autres ignoraient, le plus souvent, les rĂ©sultats obtenus par leurs congĂ©nĂšres.

En Belgique, l’émission d’amateur s’organise sans toutefois ĂȘtre officiellement autorisĂ©e. Ces pionniers opĂ©raient sans autorisation, en pirates. Ils se choisissaient un indicatif : un chiffre (‘4’ pour la Belgique), suivi de 2 ou 3 lettres. Mais l’Allemagne utilisait aussi le chiffre ‘4’ ! Bien vite, des difficultĂ©s Ă  identifier les pays d’origine voient le jour. L’ARRL propose de rajouter un prĂ©fixe complĂ©mentaire afin d’éviter toute confusion. Cette idĂ©e est reprise et encouragĂ©e par Georges Veuclin, 8BP, fondateur, directeur et Ă©diteur du cĂ©lĂšbre  ‘Journal des 8’ (N°1 datĂ© du 15 mars 1924), qui faisait autoritĂ© Ă  l’époque dans les milieux amateurs.
En Belgique, les tout premiers indicatifs comportent le chiffre ‘4’, suivi de 2 lettres (4AS, 4SS, 4RS, 4YZ, 4QS
) et sont prĂ©cĂ©dĂ©s dĂšs aoĂ»t 1924 de la lettre ‘B’. Ils semblent, Ă  quelques exceptions prĂšs, ‘scripta manent’, issus d’une mĂȘme rĂ©gion !

La plus ancienne carte en ma possession ! Aucun nom, aucune adresse ! AprĂšs recherches, le titulaire de cet indicatif Ă©tait O. KEIL, 64, rue des Ă©tangs Ă  Ensival. QSL via Mr. Henrotay, T.S.F. Verviers.

En 1913, Jacques HEYNEN se trouvait Ă  Tlemcen (AlgĂ©rie). Il contacta CNWV, opĂ©rateur Berger Ă  Tanger sur 600m. Il reprit l’émission en 1920 de Krefeld sous  ‘1CF’ et devint R7 Ă  Tanger en 1923. Plus tard, ON4GQ, CM de Bruxelles.

Jacques HEYNEN S/Officier Bataillon-Radio Vilvorde Belgique. Faisait du 80m avec 2 lampes TM sous 220V. Description de sa station dans le ‘Jd8’ N°10 du 5 Juillet 1924.

Cette carte de février 1925 ne comporte ni nom, ni adresse. Elle est signée
« B 4AS ‘Prof’ Â» ! Elle appartenait Ă  LĂ©on SNEEPERS, Professeur Ă  l’Institut Saint Remacle de Stavelot.

A Verviers donc, les fĂ©rus de radio se groupĂšrent dĂšs 1922 sous l’égide de Laurent Henrotay, 4QS, le « Radio Club Belge de l’Est Â» Ă©tait nĂ© ! La revue ‘Radio-Échos’ (N°1 – Janvier 1925) Ă©tait son organe officiel. PrĂ©cisons aussi que le « Cercle VerviĂ©tois d’Études RadioĂ©lectriques Â» voit le jour dĂšs 1923 sous l’impulsion du PĂšre Ernest Verreux. Son secrĂ©taire Ă©tait M. Paul de Neck, ex U3, devenu 4UU, un radio amateur de la premiĂšre heure.

 Â« En 1910, il utilisait une bobine de Ruhmkorff, en 1913 un Ă©metteur Ă  Arc de Poulsen. AprĂšs la guerre, il reprit ses essais en 1921 avec un Flieg 600P puis un Ă©metteur Hartley sur une longueur d’onde de 200 mĂštres Â» (CQ-QSO 11/1960, p.205)

 De mĂȘme, ON4BK Joseph Mussche, alors prĂ©sident de l’UBA, Ă©crivait en juin 1960 (CQ-QSO 06/1960, p.130) en hommage Ă  son ami dĂ©cĂ©dĂ© :

 Â« TrĂšs jeune amateur avant la guerre de 14, il fit la campagne Ă  la radio militaire belge. Jeune ingĂ©nieur, il avait groupĂ© autour de lui Ă  Verviers, un certain nombre d’amateurs de TSF et crĂ©e le C.V.E.R. Certains de ces amateurs s’adonnĂšrent avec lui Ă  la pratique de l’émission Â».
Cela fait de lui un des tout premiers, j’aurais tendance à dire le tout premier radioamateur belge et de Verviers le berceau du radio amateurisme dans notre pays.

A Bruxelles, un groupe d’amateurs ‘sans-filistes’ se rĂ©unissait dans les locaux du « Cercle belge d’études radioĂ©lectriques Â» (CBER), au 3e Ă©tage du Palais d’Egmont. Le 12 aoĂ»t 1924, ce groupe se donna comme nom ‘Le RĂ©seau des 2’ car la plupart de leurs indicatifs se terminaient par le chiffre ‘2’. Ou Ă©tait-ce parce que les rĂ©unions se poursuivaient dans un cafĂ© appelĂ© ‘Les Deux BĂ©casses’ ? (plus tard : Ă  ‘La Lunette’, Place de la Monnaie)
On y trouvait : P2, Robert Deloor, futur 4SA et prĂ©sident-fondateur du RB ;
W2, Rudolph Couppez, correspondant belge de ‘L’Antenne’ ; D2, Georges Pollart, futur 4BY ; C2, Joseph Mussche, futur 4BK et futur prĂ©sident de l’UBA dans les annĂ©es 50 ; B7, Constantin Haumont, Traffic manager du RB et enfin K2, Hugo de Meyere, futur 4TI dont les ‘MĂ©moires’ parues en 1955 et 1956 ont permis la sauvegarde de ces souvenirs.
Ce ‘RĂ©seau des 2’ prit une telle extension qu’il fut nĂ©cessaire en 1925 de crĂ©er le ‘RĂ©seau Belge’ des Ă©metteurs.
Le premier prĂ©sident (‘General Manager’) du RB fut Robert Deloor, P2, suivi de 1926 Ă  1936 par Paul de Neck, 4UU. Le bureau QSL central se situait 11, rue du CongrĂšs Ă  Bruxelles.
La crĂ©ation du RĂ©seau Belge est relatĂ©e dans le ‘Journal des 8’ du 28 mars 1925, le mĂȘme article (ou presque) paraissant dans ‘L’Antenne’ du 7 avril 1925.
Une premiĂšre liste de toutes les stations du RĂ©seau Belge (et quelques dissidents en ‘4’
) en date du 11 avril 1925 paraĂźt dans le ‘Jd8’ nr. 41 du 25/4/1925.
Un article trĂšs complet, expliquant le fonctionnement du RB, ainsi qu’une liste des DM et CM est publiĂ© dans la Chronique Belge (par Rudolph Couppez W2) du journal ‘L’Antenne’ N° 116 du mardi 16/6/1925. (pp.393-394)

Le RĂ©seau Belge devint la section belge de l’IARU, l’Union Internationale des radioamateurs, fondĂ©e Ă  Paris en avril 1925. La premiĂšre rĂ©union gĂ©nĂ©rale du RB eut lieu le dimanche 13 septembre 1925, Ă  l’HĂŽtel Scheers Ă  Bruxelles
 Â« A l’assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale 70 membres Ă©taient prĂ©sents, venus de tous les points de la Belgique. Tous arboraient Ă  la boutonniĂšre leur carte QSL. La plus franche camaraderie ne cessa de rĂ©gner parmi eux Â» (L’Antenne N° 132 du 6/10/1925, pp.662-663)

Les indicatifs du ‘RĂ©seau Belge’ sont formĂ©s d’une lettre suivie d’un ou de 2 chiffres, CH compris : A4, B52, M2, W4, CH5 

A ce sujet, on peut lire dans ‘L’Antenne’ du 16/6/1925 : « Au point de vue DX, le systĂšme lettre/chiffre possĂšde de grands avantages par son excellente cadence et son peu de longueur comparĂ© aux 4XY ou 4ABC et aussi parce qu’ils sont personnels Ă  la Belgique Â».
Et dans ‘L’Antenne du 1/9/1925 : « Il faut souhaiter pour l’harmonie de l’émission belge que les ‘4’ se rallient au systĂšme de la majoritĂ© (
) Â»

Ci-dessus, la carte QSL de Robert DELOOR, P2, premier PrĂ©sident du ‘RĂ©seau Belge’. Il fit partie d’une dĂ©lĂ©gation de 10 personnes (des amateurs-Ă©metteurs, des membres de l’Union Radio-Club de Belgique, des juristes et Mr. Corteil, l’ingĂ©nieur en chef de la RĂ©gie des T.T.) reprĂ©sentant la Belgique au « 1er CongrĂšs de L’Union Internationale des Amateurs de T.S.F. Â» (Paris, 14-19 Avril 1925). Il devint ON4SA par la suite.

Victor LIESENS, M2 figure sur la plus ancienne liste des membres du RB ! Il devint EB4UC, puis ON4UC. Jeune ‘amateur-radio’, je l’avais contactĂ© Ă  de multiples reprises en ‘AM’. Il dĂ©cĂ©da le 29/10/1976. ‘Viv Nameur po tot’ !

Last but not least, voici une photo (unique) du RĂ©seau Belge prise lors d’un banquet le 9/03/1930 (QST Juin 1930, p.72). Paul de Neck, ON4UU ‘General Manager’ du RB est assis juste derriĂšre le fanion RB ! Debout 3e au second rang Ă  droite : ON4RV RenĂ© GOKA de Verviers et Ă  sa gauche ON4LM, le Major Martin.

Les indicatifs du RB ne s’imposĂšrent pas ! Ce fut le pot de terre (les dissidents en ‘4’
) qui l’emporta sur le pot de fer.

L’arrĂȘtĂ© royal du 30/10/1926 dota les amateurs-Ă©metteurs belges d’un statut : l’autorisation d’émettre, frĂ©quences, heures d’émission, taxe etc. Pas question par contre d’un examen !
Le chiffre ‘4’ fut imposĂ©, la lettre ‘E’ (pour Europe) vint prĂ©cĂ©der le ‘B’ (pour Belgique) : voici donc les amateurs belges utilisant le prĂ©fixe  EB4.

Carte QSL et photo de la station EB4FZ Jacques MEURICE, 23 Juslenville-Petite Ă  Theux, membre du ‘RĂ©seau VerviĂ©tois’, fondĂ© le 6 Janvier 1929.

RenĂ© GOKA (R 330 →EB4RV →ON4RV), rĂ©dacteur du ‘Radio-Feuillet’ (N°1 Janvier 1926) suivi en Mars 1928 du ‘Bulletin des Ondes Courtes’, devint en 1929 le secrĂ©taire du ‘RĂ©seau VerviĂ©tois’, plus tard CM des ‘verts et vieux’ !
Remarquons son indicatif d’écoute ‘R 330’ (prĂ©curseur des ONR et ONL), attribuĂ© en AoĂ»t 1926 par le cĂ©lĂšbre journal ‘L’Antenne’ de Paris.

Une premiĂšre liste de ces nouveaux ‘intermĂ©diaires’ (prĂ©fixes sensiblement diffĂ©rents de ce que nous connaissons aujourd’hui !) fut publiĂ©e dans le magazine ‘QST’ de janvier 1927, p.54. En 1930, le Jd8 (N° 305 et 306) publia Ă©galement cette liste, en 1931, on parlait de ‘lettres de nationalitĂ©s’ !

Un ‘Club des 4’ , dont « l’organe de liaison et d’investigations scientifiques est le Q.T.C. belge, 38, rue de SuĂšde Ă  Bruxelles Â» est fondĂ© dĂ©but 1927.
Son prĂ©sident est M. l’ingĂ©nieur Raymond Boell 4AR ; 4YZ AndrĂ© Courtois et 4RS RenĂ© Pirotte sont vice-prĂ©sidents.
« Ajoutons que le ‘Club des 4’ est placĂ© sous le patronage de la FĂ©dĂ©ration Belge des SociĂ©tĂ©s d’Etudes radioĂ©lectriques, le puissant organisme reliant tous les radio-clubs du pays
 Â» (‘L’Antenne’ N° 204 du 20 FĂ©vrier 1927, pp.165-166). L’URCB comptait 180 â€˜Ă©metteurs’ et 507 ‘rĂ©cepteurs’ dĂšs Juin 1925, sa premiĂšre assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale eut lieu le 15 mars 1925.

Mais les radioamateurs belges de cette Ă©poque n’étaient pas au bout de leur peine ! Citons ON4UF, Louis Richard qui Ă©crivait dans le ‘QSO’ 09/1938 (p.473) : « En 1929, il fallut dĂ©chanter. Nouvelle licence plus restrictive. Ensuite un CongrĂšs International crut bon de changer le prĂ©fixe rationnel EB en ce monstre hybride ON Â»
La ConfĂ©rence RadioĂ©lectrique internationale de Washington (Octobre 1927) va fixer les indicatifs des stations expĂ©rimentales. ON pour la Belgique ! Ces rĂšgles entreront en vigueur au 1er Janvier 1929.

Mordu par l’amateurisme aprĂšs la guerre de 14-18, peintre de renom, RenĂ© TOUSSAINT, ON4US de SPA faisait partie du « Radio Club Belge de l’Est Â». ‘EB4US devint ‘ON4US’ sur sa carte QSL. Il dĂ©cĂ©da le 20/10/1971.
ON4US obtint en 1929 (5e Belge Âč) le diplĂŽme ‘WAC’ (CW) de l’ARRL. Nous reproduisons ce document rare!

Autre document rare (et anecdotique !) : ON4HL de Gand rĂ©dige sa QSL pour ON4RV en Wallon ! Pas de problĂšmes linguistiques en 1929 !

Âč  Le ‘WAC CLUB’ fut mentionnĂ© pour la premiĂšre fois dans le QST 04/1926, p.54. Un historique des WAC, comprenant une rĂ©partition par continent, une rĂ©partition par pays ainsi que les dates des premiers WAC fut publiĂ© dans le QSO belge de Mai 1935. Le 1er WAC europĂ©en CW (1926) fut Belge : EB4YZ AndrĂ© Courtois de Hodimont-Verviers.

La situation en termes d’indicatifs Ă©tait pour le moins confuse ! Certains continuĂšrent Ă  utiliser l’indicatif EB4, voire mĂȘme les indicatifs du RĂ©seau Belge. Les ‘noirs’(les stations pirates)  utilisaient des suffixes Ă  3 lettres ! Leurs ‘exploits’ Ă©taient dĂ©crits dans le ‘QSO’, d’aucuns obtinrent mĂȘme le WAC !

Les premiers examens pour l’obtention d’une licence d’émission sont annoncĂ©s Ă  la une du ‘QSO’ d’octobre 1933. (premiĂšre ‘cession’ des examens !)

En août 1939, toutes les licences furent supprimées, par lettre recommandée.

A la veille de la guerre, tous les Ă©metteurs devaient ĂȘtre remis aux ‘autoritĂ©s’.

Pendant l’occupation, de nombreux amateurs ont formĂ©, au pĂ©ril de leurs vies des rĂ©seaux clandestins.
AprÚs la seconde guerre mondiale, toutes les licences furent annulées par la Direction des Radiocommunications de la RTT.
Dans un premier temps (mai 1946), des autorisations provisoires, trÚs restrictives furent envoyées aux amateurs. Le Réseau Belge multiplia ses démarches en faveur des radio amateurs.
L’ArrĂȘtĂ© MinistĂ©riel du 22/7/1947 fixa enfin une rĂ©glementation pour les stations Ă©mettrices rĂ©ceptrices privĂ©es. Tous, y compris les plus anciens et les plus respectables, devaient passer par la case « examen Â», afin de se mettre en rĂšgle avant le 1er janvier 1948.
La rĂ©organisation de l’amateurisme en Belgique Ă©tait en bonne voie.

Avant la fin de l’annĂ©e 1947, ‘RĂ©seau Belge’ et ‘Vlaamsche Radio Bond’ s’unirent en une association unique : l’UBA.

L’Union fit notre force.

Les derniers tĂ©moins de cette lointaine Ă©poque nous quittent peu Ă  peu. C’est Ă  eux que je dois tous ces lointains souvenirs.

Pierre Stoffel ON4PS

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