vendredi, 9 mai 2025

Vision de l'Avenir de l'IA : De la Main-d'œuvre Numérique aux Robots Physiques, Selon Jensen

Albert ON5AM

Selon une récente interview de Jensen1, l'Intelligence Artificielle (IA) n'est pas seulement une nouvelle technologie, mais une véritable révolution industrielle, comparable à l'impact de l'électricité, qui révolutionne et transforme toutes les industries.
Au cœur de cette transformation se trouvent les "usines d'IA", de grands superordinateurs qui produisent en masse des "tokens2", l'unité de base de cette nouvelle intelligence, pouvant être reformulés en diverses formes d'information.
Selon Jensen, l'IA est multifacette et doit être comprise à travers plusieurs couches ou niveaux.

1. L'IA comme Technologie et les "Usines d'IA"

Au niveau le plus fondamental, l'IA est une nouvelle technologie, distincte des logiciels traditionnels par sa construction et ses capacités. Ce nouveau logiciel permet de faire des choses inédites.

La deuxième couche est l'industrie de production de l'IA elle-même, appelée "usines d'IA". Contrairement à la production de logiciels passée où les humains tapaient du code, les usines d'IA sont de grands superordinateurs qui utilisent de l'électricité pour produire en grande quantité des "tokens". Ces tokens sont l'unité de base de l'intelligence produite par l'IA. Ils peuvent être reformulés en diverses formes d'information : nombres, mots, protéines, images, vidéo, structures tridimensionnelles, etc.. L'usine d'IA fait essentiellement une seule chose : produire ces tokens chaque jour.

L'importance de l'usine d'IA réside dans le fait que la production de cette intelligence est une nouvelle industrie en soi. De plus, cette technologie va révolutionner et transformer toutes les autres industries (santé, éducation, services financiers, ingénierie, gestion de chaîne d'approvisionnement, fabrication).

2. Les Vagues d’Évolution de l’IA

La conversation décrit l'évolution de l'IA moderne en plusieurs vagues :

  • IA de Perception : Apparue vers 2012, cette première vague d'IA se concentre sur la perception du monde. Elle analyse différentes modalités d'information comme les images (vision par ordinateur, qui a connu une grande percée à cette époque), les sons, les vibrations, la température. Les modèles d'IA apprennent à comprendre la signification de ces informations.
  • IA Générative : Émergée il y a environ 5 ans. L'IA générative comprend la signification de l'information et peut ensuite la traduire dans d'autres formats. Par exemple, traduire de l'anglais au français, ou de l'anglais à une image (permettant de générer des images à partir d'une description textuelle). Elle est décrite comme un "traducteur universel" qui comprend le langage humain.
  • IA de Raisonnement (ou Agentique) : C'est l'ère actuelle. Cette IA va au-delà de la simple compréhension et génération ; elle peut résoudre des problèmes et gérer des conditions inédites en utilisant le raisonnement. Elle applique des règles, des lois et des principes appris pour décomposer les problèmes étape par étape. Cette capacité conduit à la création de "robots numériques", également appelés "agents IA". Ces agents ont une certaine autonomie. Ils peuvent comprendre une tâche, rechercher des informations, utiliser des outils numériques (calculatrices, navigateurs web, feuilles de calcul) et interagir avec des systèmes d'entreprise (comme SAP pour la chaîne d'approvisionnement ou Workday pour les RH) pour accomplir des actions. Jensen anticipe que les futurs PDG devront gérer une main-d'œuvre à la fois biologique et numérique, et que les départements informatiques deviendront l'équivalent des départements RH pour l'IA agentique.
  • IA Physique : La prochaine vague majeure. Elle implique la capacité pour l'IA de comprendre les lois de la physique (friction, inertie, cause à effet, permanence de l'objet). C'est le "bon sens" physique que possèdent les humains et même les animaux, mais qui fait souvent défaut à l'IA actuelle. Par exemple, comprendre qu'une balle tombée n'a pas disparu mais est simplement de l'autre côté d'une table, ou que pour aller d'un côté à l'autre d'une table, il faut en faire le tour et non la traverser. Lorsque cette IA physique est intégrée dans un objet physique, cela donne naissance à la robotique. Le développement de l'IA physique est crucial pour la nouvelle génération d'usines très robotisées qui sont construites aux États-Unis, notamment pour faire face à la pénurie de main-d'œuvre.

3. Impact sur l’Emploi et le Marché du Travail

Concernant l'impact sur l'emploi, la vision présentée est nuancée : de nouveaux emplois seront créés, certains emplois seront perdus, et chaque emploi sera transformé. Il est trop simple de se concentrer uniquement sur le déplacement massif de la main-d'œuvre.

  • Au niveau fondamental, l'IA crée un tout nouveau type d'emploi lié à son propre développement et à son outillage. Cela implique des changements dans les méthodologies de collecte, d'organisation et d'utilisation des données, ainsi que dans l'assurance de la sécurité de l'IA. Cette activité a déjà un impact tangible, par exemple, en contribuant à la prospérité retrouvée de San Francisco.
  • Au niveau des usines d'IA, la construction de ces installations gigantesques (une usine de 1 GW générant 60 milliards de dollars de revenus annuels coûte environ le même montant à construire) génère un énorme besoin de main-d'œuvre dans les métiers de l'artisanat. Il faut financer, aménager, construire (charpentiers, métallurgistes, maçons), puis équiper (ingénieurs mécaniciens/électriciens, plombiers), et enfin opérer ces usines. Le chemin critique pour la croissance des entreprises dans cette ère sera les métiers manuels (crafts), par opposition aux ingénieurs logiciels qui étaient cruciaux lors du précédent changement de plateforme informatique. Il est essentiel de reconnaître et d'encourager ces métiers comme respectables et nécessaires.
  • Au niveau supérieur, l'IA assiste les professionnels existants (ingénieurs logiciels, médecins, professionnels de la finance, service client). Dans l'entreprise de Jensen, l'IA a considérablement augmenté la productivité des ingénieurs, leur permettant de créer plus, ce qui a entraîné une croissance des revenus et, par conséquent, une capacité accrue d'embaucher davantage de personnes. Un point crucial souligné est que "Ce n'est pas l'IA qui va vous prendre votre emploi... Ce n'est pas l'IA qui va détruire votre entreprise. C'est l'entreprise et la personne qui utilise l'IA qui va vous prendre votre emploi.". Cela met l'accent sur l'adoption et l'application de l'IA comme facteur de succès et de compétitivité.

4. Fabrication et Jumeaux Numériques

La conversation aborde également le retour potentiel de la fabrication de pointe. La fabrication moderne n'est pas une question de main-d'œuvre à faible coût, mais est fortement pilotée par logiciel. Une usine de pointe est vue comme un robot géant orchestrant une multitude d'autres robots.

Relocaliser la fabrication (comme celle du silicium aux supercalculateurs d'IA) est une formidable opportunité de créer des emplois de haute qualité et de technologie avancée sur le territoire. Participer à cette industrie, qui produit des "nombres" (tokens) et est propulsée par l'énergie, est essentiel pour un pays.

Un élément crucial pour la fabrication moderne, et en particulier pour la conception de systèmes complexes comme les puces, est l'utilisation des "jumeaux numériques". Un jumeau numérique est une version virtuelle exacte d'un objet physique, d'une usine, ou même d'une personne ou d'une ville. NVIDIA conçoit ses puces (qui coûtent des milliards en R&D) entièrement dans leurs jumeaux numériques, les simulant et les testant exhaustivement avant de les produire physiquement pour garantir leur perfection.

L'idée est d'appliquer cela aux usines : construire d'abord l'usine entière dans un jumeau numérique, l'optimiser et planifier la production virtuellement grâce à l'IA.
À l'avenir, chaque usine aura une version jumelle numérique, et l'idée s'étendra aux humains, voitures, bâtiments et villes. Tout cela est rendu possible par l'IA.

5. Calendrier pour les Robots Physiques

Concernant l'intégration des robots physiques dans la vie quotidienne : les voitures autonomes, qui sont un type de robot, ont pris environ 10 ans pour devenir une réalité (comme Waymo dans plusieurs villes). Les robots physiques pour d'autres usages devraient prendre moins de temps, peut-être environ 5 ans, car il est possible de restreindre les environnements dans lesquels ils opèrent, ce qui les rend moins complexes à développer qu'une voiture qui doit fonctionner dans toutes les conditions.

Des robots capables existent déjà aujourd'hui. L'étape pour qu'un prototype fonctionnel devienne un produit de masse prend généralement environ 5 ans. Les constructeurs automobiles actuels, par exemple, seront bien placés pour construire des robots car ils maîtrisent déjà l'aspect physique, et ils devront simplement maîtriser la partie logicielle/IA.

En résumé, l'IA est perçue non seulement comme une technologie transformatrice, mais aussi comme le moteur d'une nouvelle industrie (les usines d'IA) et d'une redéfinition du travail, de la fabrication et de notre interaction avec le monde physique via l'IA physique et la robotique. L'adoption rapide de l'IA et l'investissement dans les infrastructures et les compétences (notamment les métiers manuels et les développeurs de jumeaux numériques) sont vus comme essentiels pour réussir dans cette révolution.

Résumé d’un entretien avec Jensen Huang. Même si ce sujet ne relève pas directement du hobby radioamateur, il aura un impact majeur sur notre vie future, et influencera très certainement notre passion dans les années à venir.


Note

  1. Jensen Huang est le PDG et cofondateur de Nvidia, le géant américain des puces électroniques et de l’intelligence artificielle. Il est considéré comme l’un des acteurs majeurs de la révolution technologique actuelle.  ↩︎
  2. En intelligence artificielle, notamment dans les modèles de langage (LLM), un token (ou jeton en français) est une unité de base utilisée pour découper et représenter le texte de manière compréhensible par la machine. Un token peut être un mot entier, une partie de mot, un caractère ou même un signe de ponctuation, selon la façon dont le modèle a été entraîné.
    Quand vous écrivez une phrase, le modèle d’IA la découpe automatiquement en plusieurs tokens. Par exemple, la phrase « L’intelligence artificielle révolutionne le monde » peut être découpée en tokens comme ceci : [« L’ », « intelligence », « artificielle », « révolutionne », « le », « monde ». Ce processus s’appelle la tokenisation.
    La raison de cette découpe est simple : cela permet au modèle de mieux analyser, comprendre et générer du texte, car il travaille sur ces petites unités plutôt que sur des phrases entières. Cette méthode facilite la gestion des mots rares, des néologismes ou des langues complexes, car le modèle peut comprendre des morceaux de mots (préfixes, suffixes, radicaux) ↩︎

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Author Profile

Albert ON5AM

Licencié Harec depuis 1990, après une pause de quelques années, j'ai renouvelé mon intérêt pour la radio, je suis particulièrement actif en HF, appréciant le FT8, les contest et la chasse au Dx. Depuis 2021, je suis président de la section de Liège et administrateur du site Internet www.on5vl.org. Passionné d'informatique, je suis convaincu que le monde des radioamateurs doit évoluer avec les avancées technologiques, notamment avec l'émergence de l'IA dans nos shack.

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